Avec Fuck up d’Arthur Nersesian, les éditions La Croisée publient enfin un roman culte de la littérature américaine. Une odyssée à ras de bitume dans le New York des années 80. Sur les traces d’un poète marginal, le romancier nous entraîne dans une longue déambulation pleine d’humour et de noirceur.
La parution de Fuck up d’Arthur Nersesian est un événement dont on n’a sans doute pas suffisamment parlé. Publié en pleine rentrée littéraire au milieu de romans qui seront, pour la plupart, vite oubliés, Fuck up a bien reçu quelques louanges amplement méritées, mais sans doute pas suffisamment eu égard à la qualité de ce livre culte. Jusqu’à présent, Fuck up était l’un de ces romans que seuls quelques initiés anglophones avaient eu la chance de lire. Parmi eux, le réalisateur Dominik Moll qui se fend ici d’une brève présentation dans laquelle il explique avoir connu et fréquenté Arthur Nersesian alors qu’ils étaient tous les deux ouvreurs pour un cinéma du Lower East Side. C’est d’ailleurs ce boulot que le protagoniste et narrateur exerce au début du roman. Cette expérience commune entre l’auteur et son personnage doit surtout être lue comme le signe de l’acuité avec laquelle Nersesian va dépeindre une ville qu’il connaît parfaitement : le New York du début des années 80. Et, comme le rappelle Dominik Moll, cette ville-là n’a pas grand-chose à voir avec celle que l’on visite aujourd’hui. Beaucoup plus violente, sauvage et imprévisible, la big apple décrite par Nersesian est sans doute aussi beaucoup plus « authentique », comme l’écrit Moll, que celle d’aujourd’hui, envahie par les bars branchés et les magasins de luxe.
Fuck up s’apparente donc à une visite d’un New York révolu, une visite dont le guide est un pseudo poète sans le sou, qui nous raconte les innombrables rencontres qu’il va faire après avoir été largué par sa copine (qu’il envisageait sérieusement de tromper) et avoir perdu son boulot au Saint Mark’s Cinema. L’intrigue, qui semble avoir été improvisée au fur et à mesure de l’écriture, suit donc les déambulations de cet écrivain raté qui cherche vaille que vaille à échapper à la dèche qui lui colle aux semelles.
Nersesian confie donc son récit à ce personnage menteur et voleur, qui use de tous les expédients possibles pour échapper à la misère et à la rue qui le guettent et menacent en permanence de le happer. Souvent veule, voire franchement minable, comme lorsqu’il s’apprête à ravaler son vomi étalé sur le trottoir, ce jeune homme malhonnête qui attire les emmerdes autant qu’il les provoque se révèle aussi touchant, notamment lorsqu’il est confronté à la mort de l’un de ses amis (le seul ?).
Parfois comparé aux romans de John Fante ou à L’Attrape-cœurs de Salinger, Fuck up – qui évoque aussi l’œuvre de Bukowski – est en réalité une œuvre unique qui entretient bien quelques similitudes avec les œuvres précitées mais qui s’en émancipe sans peine. Souvent drôle, le roman s’avère aussi très sombre voire violent. Le portrait – de la ville, de l’époque – est sans fard et si l’énergie et le souffle qui animent le récit lui permettent d’échapper au misérabilisme qui aurait pu guetter une telle histoire, les premières lignes du livre sont sans équivoque quant au désenchantement qui plane sur tout le roman.
Vous l’aurez compris, Fuck up est une fausse nouveauté mais assurément l’une des très belles découvertes littéraires de cette année 2023. A lire absolument.
Grégory Seyer