Les albums de deuil sont toujours de grands disques, Goodnight Summerland, second volet de la discographie de la canadienne Helena Deland est une œuvre magnifique, poignante et sachant toujours mettre à distance toute forme d’impudeur.
Il n’y a rien de plus difficile à définir en musique que la fragilité. La hargne, la haine, la violence trouvent plus facilement leur terrain d’expression. On se reconnaît sans doute plus aisément dans ce rapport conflictuel à la frustration que dans l’affirmation de ce que l’on souhaiterait cacher. Il en faut du courage pour se dire sans fard, pour exprimer sa souffrance et ses craintes. La fragilité tombe parfois dans les écueils des visions diaphanes, d’une évanescence qui empêche l’appropriation. Combien de disques Dream Pop qui se perdent dans un onirisme facile pour une collection de chansons cruelles parce que sincères et douces ? Ces chansons-là font du bien et créent un lieu pour dire et raconter une histoire, pour apaiser.
Les disques de deuil sont de cette catégorie. Ils atteignent une forme de paroxysme émotionnel, cet état qui empêche les faux-semblants et les effets de manche. On avait adoré le premier album d’Helena Deland en 2020, le superbe Someone New. Dire que Goodnight Summerland vient confirmer toutes nos attentes et même les dépasser relève de l’évidence dès la première écoute. Plus acoustique que Someone New, Goodnight Summerland assume son caractère Lo Fi, à la fois osseux et divinement arrangé. La voix d’Helena Deland évoque une Hope Sandoval moins poseuse, moins consciente de sa beauté, plus en phase avec ses doutes. Ce qui nous bouleverse, c’est cette difficulté à s’exprimer qui transpire dans chacune de ces chansons touchées par la grâce. Helena Deland est indécise tout au long de ce disque délicat hésitant entre un Folk dépouillé et des arrangements toujours somptueux mais discrets, virevoltants mais paisibles. Tout ici n’est qu’hésitation et doute mais c’est ce qui la rend d’autant plus désarmante.
Goodnight Summerland est de ces albums que je nomme des albums tête sur l’épaule, ces disques qui viennent nous apaiser, qui sont des amis. Ces amis qui traversent des épreuves difficiles et rudes, ces amis que l’on souhaite réconforter, ceux qui sont là contre vents et marées, contre tempêtes et chagrins, ces amis qui sont toujours là et pas seulement dans les moments de joie. Goodbye Summerland raconte la perte d’un être cher, la mère d’Helena Deland ici mais il ne raconte pas que cela. Il dit aussi la perte de l’insouciance, la disparition de l’innocence. Il raconte les premiers pas du nouveau né qui deviendront les pas de celui qui accompagne ses parents jusqu’à leur dernière demeure. Mais Helena Deland décrit l’inéluctabilité de la vie, qui décide de vivre cette aventure sait qu’il passera par des moments que l’on voudrait oublier, d’autres que l’on voudrait conserver à jamais.
Goodnight Summerland parle des saisons qui passent, de l’âge qui prend chair, de la chair qui prend de l’âge. Même si les mots ont l’air d’être un piège, des rochers glissants sur lesquels on pourrait s’effondrer, Helena Deland ne veut qu’une chose, c’est parler avec sa mère, parler avec nous. Elle veut s’accrocher à cette bouée, à ce point de repère qu’est sa mère. A sa manière, le disque est à la fois une machine à remonter dans le temps mais aussi un refuge. Helena Deland nous transporte dans ses souvenirs qui sont comme autant de lieux, des océans sans fin ou des lacs sur le sublime Swimmer. Ce titre n’est pas sans me rappeler Un jour sans fin de l’ami angevin Jean-Louis Bergère disparu en 2021. Comme la canadienne, Jean-Louis Bergère imaginait le monde de ses enfants après sa disparition, comme une sorte de deuil par anticipation.
Remarquable de justesse et de maturité, Goodnight Summerland sera de ces disques compagnons que l’on n’écoutera pas tous les jours mais qui saura être là quand on aura besoin de lui dans les petits et les grands drames que la vie nous offre. Oui, que la vie nous offre car tous ces drames, tous ces évènements traumatiques constituent notre histoire, qu’on le veuille ou non.
Helena Deland, avec ce Goodnight Summerland magnifique, vient rejoindre cette famille des musiciens empathiques et forcément indispensables, le couple Peris de The Innocence Mission, Sufjan Stevens et quelques autres.
Helena Deland a bien du mal à exprimer ce qu’elle souhaite faire passer mais de cet effort douloureux naît une œuvre miraculeuse et bouleversante.