Dans son autobiographie La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire, Paul Newman offre un autoportrait en grande star hollywoodienne doutant en permanence de sa légitimité d’acteur.
Paul Newman, ce fut entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 un acteur hollywoodien immensément populaire, un mélange d’élégance européenne et de décontraction américaine. Pour les spectatrices de la période, il forma le temps de deux films de George Roy Hill (Butch Cassidy et le Kid, L’Arnaque) un duo parfaitement complémentaire avec Robert Redford, un équivalent de ce qu’allaient être Brad Pitt et George Clooney pour celles des années 1990. Newman, c’est aussi un metteur en scène estimable (Rachel Rachel, De l’Influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites). Me concernant, Newman est d’abord associé à son face à face avec le jeune Tom Cruise dans une suite de L’Arnaqueur signée Scorsese (La Couleur de l’argent).
C’est Serge Chauvin, dont j’ai pu parfois lire les chroniques cinéma dans les Inrocks durant les années 1990, qui se charge de la traduction de l’autobiographie de l’acteur. La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire est construite à partir de discussions de l’acteur avec son ami et scénariste de La Fureur de vivre Stewart Stern. Des propos recueillis au moment où l’acteur atteignait la soixantaine et remis dans l’ordre chronologique. Avec en contrepoint des témoignages de ses proches et de personnalités du cinéma l’ayant côtoyé : Elia Kazan, Richard Brooks, John Huston, Robert Altman, George Roy Hill, Stuart Rosenberg, Martin Ritt, Sidney Lumet, Robert Wise, Tom Cruise… Une liste racontant un acteur ayant connu les cinéastes de l’ère classique et ceux du Nouvel Hollywood.
L’intérêt des témoignages en contrepoint est de prouver que la posture humble revendiquée par Newman dans le livre n’était pas une manière de réécrire son histoire pour l’embellir. Alors que Newman avoue ne pas avoir su être assez décontracté pour être en bons termes avec Huston en tournage, le réalisateur du Faucon maltais voit en Newman l’opposé parfait de la part de narcissisme d’un Brando. Lorsque Newman évoque ceux qui estiment qu’il doit sa carrière à la mort de James Dean, il balaie l’argument sans arrogance. En effet, le rôle du boxeur Rocky Graziano dans le biopic Marqué par la haine fut repris par Newman suite au décès du Rebel without a cause peu avant le tournage. Gageons que même sans ce rôle dans un film ayant influencé le premier Rocky il aurait fini par percer.
Il sait ce qu’il doit à son physique… tout en rappelant qu’à ses débuts d’acteur il n’avait pas connu beaucoup de femmes dans sa vie. Estimant que celui qui avait réussi devait donner beaucoup en retour, il eut un fort engagement caritatif. Une implication soulignée par la nécrologie du très libéral The Economist parlant d’un des Américains du 20ème siècle ayant le plus donné en proportion de ses revenus.
Quand il dit regretter s’être marié trop tôt, on aurait en revanche envie de répondre : c’est ce qu’on fait beaucoup d’hommes de sa génération. Il n’est pas non plus le seul à avoir mis du temps à quitter sa compagne pour celle qui le stabilisera (l’actrice Joanne Woodward, ici en photo). Je contesterai encore plus son humilité lorsqu’il dit qu’il n’est pas le plus grand acteur. Si Tavernier a effectivement attaqué le caractère trop appuyé de ses interprétations, j’estime de mon côté avoir vu bien pire dans le genre, surtout du côté des performances applaudies par les votants des Oscars.
Newman cherchera des compensations à son manque de confiance en lui d’abord dans l’alcool, et ensuite dans les courses automobiles. Domaine dans lequel il excella d’ailleurs, avec une seconde place aux 24 Heures du Mans en 1979. Ses failles lui serviront pour son interprétation dans Le Verdict, film pour lequel Lumet lui demandera de se dévoiler un peu plus face caméra. Hyperprofessionnel, il étudiera de façon maniaque la diction et les mouvements de scène de Graziano. Parce qu’il estimait qu’il fallait être professionnel avant d’être une star, il protestera ostensiblement contre un retard d’Elisabeth Taylor sur le tournage de La Chatte sur un toit brûlant.
La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire n’est pas le livre qui révèlera aux cinéphiles les détails du fonctionnement du Hollywood de l’ère classique et de celui des années 1970. Il est en revanche un bel autoportrait d’un acteur en star contrariée.
Ordell Robbie
La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire
Autobiographie de Paul Newman
Editeur : La Table Ronde
336 pages – 24,50 €
Parution : 2 novembre 2023