Derrière l’alias d’Old Fire se cache un certain John Mark Lapham qui, à travers ce projet met au centre de la composition la notion de collaboration comme une auberge espagnole ouverte aux 4 vents, Iterations, le troisième album de l’américain poursuit dans cette voie.
Qu’est ce qu’une itération ? Que veut donc dire ce mot ? Pour la cause mathématique, ce serait une méthode de résolution d’une équation par approximations successives mais soyons francs, cela ne nous avance guère. Quand on fouille encore, on trouve cette autre solution, cela pourrait être un synonyme de répétition. Cela convient sans aucun doute mieux à cet objet musical qui nous intéresse. Car le rythme, depuis la nuit des temps, se repose sur la notion de répétition imitant peut-être en cela notre cœur, pompe de vie métronomique. Du rythme naît le motif musical, le processus de narration, la construction harmonique. De la division du rythme, de sa répétition sur des tempos opposés peut surgir une dissonance qui forge d’autres lignes mélodiques.
A l’écoute d’Iterations, le troisième album d’Old Fire mené par l’américain John Mark Lapham, on comprend toute la justesse du titre en l’espace de deux ou trois titres. Le musicien s’emploie ici à épuiser la notion de répétition jusque dans ses faiblesses les plus intimes. En martelant le temps, il parvient à l’apprivoiser et même à le tuer. Souvent proche des expérimentations d’Andy Cartwright de Seabuckthorn, il étoffe toutefois plus ses arrangements en ne se limitant pas à la seule guitare. Ce qui n’empêche pas ces plages d’assumer une certaine rugosité voire parfois une forme de dissonance. Ces morceaux énigmatiques jouent sur la répétition comme pour atteindre un état second, une forme supérieure de perception du monde. Certains appelleront cela la transe, d’autres la méditation. D’autres encore se perdront dans ce maelström de douceur et de violence contenue. Ce qui est sûr, c’est que Iterations s’infiltre en nous malgré nous.
Le disque évolue de mantra en mantra. Le terme que j’emploie, je l’ai longuement sous-pesé, je crois bien que c’est celui qui est le plus pertinent pour qualifier le climat ressenti à l’écoute de ce disque étrange. Sans vraiment se l’expliquer, certains d’entre vous penseront à cet EP Get On Jolly (2000), cette collaboration sublime entre Will Oldham et Mick Turner pour cette adaptation de Gitanjali du poète bengali Rabindranath Tagore. C’est vrai que sur Iterations, l’humeur est au spirituel et au mysticisme mais un mysticisme dégagé de toute croyance et de toute chapelle.
Le titre Mephisto incarné par Bill Callahan ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, le morceau touche certes au sublime mais d’autres grands moments parsèment ce disque. Ce n’est pas non plus la première collaboration d’Old Fire avec l’ex Smog. Déjà l’année dernière, sur Voids, Bill Callahan accompagnait le projet sur trois titres. Et puis, John Mark Lapham a le sens de l’ouverture en amorçant ce disque par deux titres chantés, Blue Strings portée par Emily Cross et donc ce titre par Bill Callahan. Ensuite, Old Fire prend la tangente et s’éloigne totalement du format chanson. Iterations oscille entre americana osseuse à la Cul De Sac, Post-Rock décharné, Ambient acoustique et élucubrations étranges que ne renieraient pas les membres de Dirty Three. Iterations évoque parfois les meilleurs moments de Labradford, Mi Media Naranja (1997) en particulier sur la suite Old Grief sauf que contrairement à Mark K Nelson et ses compères, Old Fire sait saisir lumière et obscurité dans un même élan. Il y a peut-être un peu moins d’abstraction et plus de volonté mélodique chez John Mark Lapham que chez le leader de Pan American.
La musique d’Old Fire est comme constituée de minuscules fragments, d’instants de narration venus d’autres moments, de télescopages tranquilles d’émotions. John Mark Lapham emprunte tout autant les chemins de la Kosmische Music que ceux du Folk. On se perd avec plaisir dans les méandres de sa musique où rien n’est vraiment perceptible, où rien n’est évident. La matière se fait ectoplasmique, mouvante et fibreuse, organique et toute de pulsion. On a parfois l’impression étrange d’écouter un vieux disque de 4AD, le label d’Ivo Watts-Russell, un This Mortal Coil sans doute pour cette même énergie puisée dans la collaboration. Car même si Iterations investit moins ce terrain, on ne peut oublier les personnes avec qui l’américain a collaboré sur ses disques précédents. DM Stith, Christopher Barnes (Gem Club), Thor Harris (Swans), Rebekka Karijord et Alex Maas (Black Angels) pour ne citer qu’eux. La comparaison avec This Mortal Coil ne s’arrête pas là quand on sait que John Mark Lapham sur ses disques se réapproprie des titres de glorieux aînés, Psychic TV ( The Orchids), Low (Laser Beam), Ian William Craig (A Slight Grip, A Gentle Hold), Jason Molina (It’s Easier Now), Camberwell Now (Know How) et Shearwater (Helix).
Alors certes, tout n’est pas toujours du même niveau. Certes, on entend parfois des redites d’idées entamées par Stars Of The Lid ou Brian Eno. Sans doute que Iterations aurait dû se ramasser autour d’un simple 5 titres et on tiendrait là sans conteste l’EP de l’année. Certaines pièces ne tiennent pas la comparaison face à d’autres. La fin du disque semble s’essouffler un peu et l’inspiration prendre congé. On ne reniera pas pour autant toute l’attraction, tout l’envoûtement que la musique d’Old Fire nous procure.
On viendra encore nourrir ces braises et ce feu.