Clara Arnaud aime les territoires âpres, sauvages où la nature fixe les règles et ce roman beau restitue à merveille cette soumission des hommes aux caprices de la montagne.
Gaspard, pas le roi mage, est un berger Pyrénéen qui accompagne les brebis en estive dans le Couserans et rencontre des problèmes de voisinage avec un plantigrade lassé des légumes, ce que je peux tout à fait comprendre. Mort aux brocolis ! Tapage nocturne, tartare sauvage, déchets dans les parties communes, autant vous dire que le règlement de copropriété à haute altitude a du plomb dans l’aile.
Alma fréquente aussi ce territoire enclavé. Elle est éthologue, métier qui consiste à être payé pour observer le comportement d’animaux sauvages dans leurs milieux naturels. Il y a pire comme besogne. Certains comptent les oiseaux migrateurs ou enregistrent le brame du cerf sans s’endormir avec des tenues de camouflage dignes des forces spéciales. Elle a choisi l’option « ours » car c’est quand même plus sympa que de s’intéresser à la sexualité des punaises de lit et qu’elle adore les grosses bestioles sauvages qui concurrencent l’homme dans son statut de prédateur.
Le troisième personnage du roman est un montreur d’ours, Jules, qui quitta l’Ariège au début du siècle dernier pour aller chercher gloire et fortune en Amérique. Les chapitres consacrés à cette remontée dans le temps ressemblent à ces cartes postales anciennes et jaunies qui montraient ces dresseurs en sabot exposer fièrement leurs ours muselés devant des populations fascinées.
Clara Arnaud aime les territoires âpres, sauvages où la nature fixe les règles et ce roman restitue à merveille cette soumission des hommes aux caprices de la montagne. Elle ne décrit ni les dévoreurs de sommets à piolet qui veulent dominer le monde ni les sentiers de randonnées bien balisés pour citadins venus sniffer un peu d’air frais. Elle décrit la montagne de ceux qui y vivent et travaillent dans des conditions difficiles mais qui sont incapables d’en partir, comme ensauvagés par ces territoires qui résistent au haut-débit. Des femmes et des hommes à l’opposé des animaux nés en captivité et qu’il est impossible de relâcher dans la nature.
Même si le coeur de l’auteure balance du côté de nounours, le récit n’est pas manichéen et ne se limite pas à une confrontation binaire entre les pro et les anti Winnie. On sent que Clara Arnaud a dormi dans des refuges qui puent les pieds, qu’elle a partagé du saucisson tranché avec un coutelas rouillé et tartiné du fromage de chèvre sur du pain de la veille. On l’imagine remplir des carnets au bord d’un torrent. Ses pages sont patinées de rosée. La vie en estive, l’isolement, l’attachement aux bêtes et la crainte des attaques nocturnes sont parfaitement restitués. Patou-che au troupeau !
Le récit n’a pourtant rien de contemplatif. L’isolement des personnages est une invitation aux introspections mais le lecteur ne passe pas des heures à jumeler des animaux invisibles et à admirer des rochers en répétant « que c’est beau, qu’on est bien » pour se convaincre que le spectacle méritait de se lever en pleine nuit et de revenir avec des ampoules aux pieds, le dos meurtri par un sac à dos chargé comme un cartable de collégien.
L’été précédent, un drame a endeuillé le Couserans et une partie du troupeau de Gaspard avait fait le grand saut sans parapente ce qui a porté à ébullition les opposants et les partisans de l’ours. C’est cette tension, associée à la présence de l’ours, qui anime le roman, éveille les consciences, bonnes ou mauvaises et provoque des outrances.
Ce roman, outre son sujet, présente quelques ressemblances avec La Grande Ourse de Maylis Adhémar, mais je trouve le livre de Clara Arnaud plus immersif car il ne quitte pas la Montagne et s’intéresse peu aux opinions citadines.
Comme cette lecture m’a donné envie de partir aux champignons avant l’hibernation, je ne vais pas faire plus long.
Olivier de Bouty