Hier soir, à la Salle Pleyel, les vétérans de Barclay James Harvest (enfin, l’une des deux formations qui officient sous ce nom, celle avec John Lees) ont battu le rappel de tous leurs fans pour une dernière tournée, qui revisite en deux heures les meilleurs titres de leur répertoire.
Il faut bien reconnaître que Barclay James Harvest n’ont jamais, à la grande époque du rock progressif (le genre auquel ils étaient rattachés, même si cette étiquette peut se discuter, leur musique ayant des accents folk et psyché bien spécifiques) rejoint le club très fermé des groupes de tout premier plan au niveau international, comme Yes, Genesis, King Crimson ou ELP : on parle plutôt là d’un groupe au succès principalement centré sur l’Allemagne et la France, et aimé d’un public de fidèles plus limité, un peu à la manière d’un VDGG, mais d’un VDGG moins fou, moins extrémiste. Peut-être d’ailleurs que la limite de BJH a toujours été leur « normalité » au sein d’une scène britannique où les fortes personnalités faisaient la loi, et où les excès (très seventies) faisaient partie du folklore prog. En tout cas, le public nombreux des fidèles français de l’époque (oui, les mêmes, le groupe n’ayant pas beaucoup renouvelé son public) a répondu présent ce soir à Pleyel en dépit du prix des places, élevé pour un groupe qui ne fait plus les gros titres depuis longtemps.
On doit aussi préciser, ce qui n’est pas simple pour les néophytes, qu’il y a depuis 1998 deux « Barclay James Harvest », chacun monté par l’un des leaders du groupe original, mais John Lees’ Barclay James Harvest, qui inclut le chanteur / guitariste original, est a priori le plus intéressant des deux. Et ce concert fait partie de ce qui est annoncé comme « the Last Tour », ce qui est une excellente raison d’être là ce soir !
20h30 : Pile à l’heure, le quatuor monte sur la grande scène de Pleyel, somptueusement éclairée, et avec, qui plus est, une projection de diapositives qui nous montreront régulièrement des images du groupe dans les années 70. Le set débute par Fifties Child, au titre programmatique, datant des années 80 : on note avec un soupçon d’inquiétude que John Lees a l’air très fatigué et que c’est Craig Fletcher, le bassiste, au centre de la scène, qui assure, très bien d’ailleurs, les vocaux. Craig nous expliquera rapidement que pour ménager la voix de John, celui-ci ne chante plus toutes les chansons… Et d’ailleurs John chantera tout de suite le fameux Child of the Universe – l’un des titres les plus attendus : oui, sa voix est affaiblie par l’âge, pas toujours juste, mais l’usure de l’âge ajoute une certaine émotion. Et la chanson reste malheureusement pertinente avec tous les enfants souffrant en ce moment même en Ukraine et à Gaza : « I didn’t ask to be born and I don’t ask to die / I’m an endless dream, a gene machine / That cannot reason why » (Je n’ai pas demandé à naître et je ne demande pas à mourir / Je suis un rêve sans fin, une machine génétique / Cela ne peut pas être la raison).
Chaque chanson du set sera introduite par une petite explication, ou quelques mots de contexte, par Craig ou par Jez, l’organiste : tous deux parlent souvent soit de John, soit au nom de John, ce qui est quand même assez étonnant. Mais John lui-même expliquera rapidement que, plus l’âge avance, plus sa timidité naturelle grandit, et qu’il n’est donc pas à l’aise en public. Ce à quoi un spectateur répondra en lui criant « You’re a rock star ! », une affirmation qu’il niera farouchement. En revanche, le jeu de guitare, fluide et brillant, de John, reste inchangé, et heureusement, parce que le set va être un festival de guitare, dans des excès – souvent bien agréables, ma foi – très typiques des années 70 : In My life, datant de 1975, nous a un petit côté Dire Straits avant Dire Straits…
Le set va dérouler une sélection impeccable de chansons bien connues de la période de gloire du groupe, pour la plus grande satisfaction d’un public qui restera néanmoins très calme, sagement assis et applaudissant tranquillement à la fin de chaque morceau : on n’a pas vraiment l’impression d’être ce soir à un concert de rock, et ce d’autant que le son, très clair, est loin d’être aussi fort que la musique le mériterait. Seule exception à cette revisite du passé, North, une chanson de 2013 signée par le groupe dans sa configuration actuelle : ce joli hommage, très mélodique, au Nord de l’Angleterre, d’où les musiciens sont originaires, introduit une rupture de ton bienvenue.
Tous les morceaux interprétés sont plutôt des mid tempos, avec seulement trois exceptions un peu plus « rock », plus enlevées : d’abord Cheap the Bullet, critique de la violence urbaine sur fond de trafic de drogues (le titre fut interdit par la BBC, nous racontent-ils, parce qu’ils avaient envoyé de véritables balles montées en porte-clé comme cadeau aux DJ des radios !) ; ensuite Loving Is Easy, chanson « coquine » d’après Craig, sur laquelle on peut taper gentiment du pied ; et surtout Medicine Man (une chanson inspirée à John par le roman Something Wicked This Way Come de Ray Bradbury mais que, paraît-il, il n’aime pas jouer), avec son riff heavy, sa rythmique plombée et surtout un final puissant.
Le plus beau « cadeau » (selon les dires du groupe) qui nous sera fait ce soir sera un Mocking Bird véritablement gracieux, accueilli par une salve d’applaudissements, et bénéficiant d’un pont puissant en son milieu : ce sera le grand moment musical de la soirée, un titre justifiant pleinement la passion que certains ressentent pour le groupe. Et puis il y aura aussi The Poet, avec la voix de John juste posée sur l’orgue, avant une explosion finale en un morceau plus représentatif des codes du prog.
1h40 de set, nous ne nous plaindrons pas, d’autant que le public s’est levé et qu’il est alors possible de se rapprocher de la scène pour le rappel ! Un rappel qui débutera par Dark Now My Sky, un long morceau, très prog rock pour le coup, sur un texte écologique avant l’heure, qui est apparemment interprété sous cette forme (c’est-à-dire sans l’aide d’un orchestre symphonique) seulement pour la seconde fois. Et c’est le final, acoustique, avec un Hymn qui est une chanson visiblement adorée par le public vu les claquements de mains et les cris de joie. Et avec John qui se laisse enfin aller : « Yeahhh ! ».
Si c’est véritablement là l’adieu de Barclay James Harvest à son public (enfin de l’un des deux BJH !), les fans pourront être satisfaits : voilà un groupe de British gentlemen qui ont su vieillir avec grâce…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Bien le bonjour, dans le club très fermé des artistes ou groupes de tout premier plan au niveau international de la musique progressive vous avez quand même oublié Pink Floyd et Mike Oldfield. Sacrilège !
Mike Oldfield oui, mais pour moi le Floyd a très vite transcendé les étiquettes et dépassé les « tics » du rock progressif. En tous cas, je le vois comme ça.
Pour moi Pink Floyd a quand même fait beaucoup de morceaux élaborés et donc qualifiés de progressifs (mais pas que) et je considère qu’il fait partie globalement de cette mouvance musicale et pas d’une autre. Mais bon chacun son avis et cela fait le débat…