Les productions de l’anglaise Virginia Astley sont aussi rares qu’elles sont précieuses. The Singing Places, cette pièce instrumentale de près de trente minutes nous transporte dans un ailleurs incertain avec un délice que l’on ne peut refuser.
Et si la musique n’était qu’un murmure ? Un simple frémissement du silence. Et si plus que d’accompagner notre quotidien, elle parvenait à se fondre dans le décor pour ne plus être perceptible que comme un élément de notre environnement sonore ? Et si la musique n’était pas qu’un embellissement de notre monde, une expression esthétique ? Si la musique pouvait s’estomper dans le bruit du vent, dans celui d’une rivière qui coule paisiblement, dans le chant d’oiseaux ? Et si la musique pouvait retrouver le caractère minéral d’une falaise, le caractère liquide d’une vague, le caractère volatil de l’air qui nous traverse ? Ce raisonnement n’est pas nouveau, il a été au centre des travaux de nombreux compositeurs, de Satie à l’école minimaliste, de l’Ambient de Brian Eno aux motifs d’un Melaine Dalibert.
Mais de tous ces musiciens, celle qui a poussé le geste dans sa plus grande radicalité, c’est assurément l’anglaise Virginia Astley. Sa musique est assurément expérimentale mais pas dans le sens qu’on lui prête de prime abord. Il faut comprendre ce terme comme une expérience. Ecouter une production de Virginia Astley comme cette pièce The Singing Places, c’est entrer en immersion dans un lieu, devenir parti prenante d’un paysage. Un paysage est toujours la somme de toutes les émotions de ceux qui sont passés là et qui se sont attardés dans leur contemplation. Largement méconnue du public, revenir sur la carrière de Virginia Astley, c’est remonter dans le temps aux années 80, à son premier projet ,The Ravishing Beauties avec son amie Kate St John (dont je ne saurai trop vous conseiller les deux albums solo), ses collaborations avec le poète Richard Jobson qui marquèrent durablement le son de Virginia Astley.
Il faudrait aussi évoquer les Disques du Crépuscule, son travail avec les Prefab Sprout ou encore Martin Stephenson And The Daintees mais ce qui est primordial chez elle, ce sont ces disques parfois chantés, parfois utilisant le spoken word pour déclamer sa poésie, parfois piochant dans les itinéraires de la Pop, parfois dans ceux de la musique classique. Rien de surprenant à l’avoir vue collaborer avec Ryuichi Sakamoto le temps de Hope In A Darkened Heart (1986). Sans doute que ce qui fait que Virginia Astley reste méconnue, c’est que la compositrice n’a jamais choisi la voie d’une facilité prévisible. Sa musique, à la fois directe et accessible, n’a jamais refusé de plonger dans une forme d’abstraction. Certains l’ont trop rapidement classée dans le courant New Age ou pire musique de relaxation, la faute à ses bruitages champêtres qui accompagnent souvent ses compositions. Ce raisonnement ne tient pas la route quand on comprend que cette démarche s’inscrit finalement bien plus dans un geste esthétique. Les bruits environnementaux, les Field Recordings, ici, permettent à la musique de Virginia Astley de se fondre dans un espace-temps indéfini. Le caractère immersif que l’expérience d’écoute de sa musique rappelle combien des notes peuvent être sensuelles.
Et puis si l’on veut comprendre Virginia Astley jusqu’au plus profond de son identité, il faut déceler ce qu’elle a de si anglais. Elle s’inscrit dans la lignée de cette grande école anglaise de paysagistes sonores. Prenez Arnold Bax et The Tale the pine-trees knew (1931) ou encore Ralph Vaughan Williams et Fantaisie sur Greensleeves (1934). On pourrait même s’éloigner de la Grande Bretagne et se tourner vers la Finlande de Jean Sibelius ou encore les Pièces Lyriques du romantique norvégien Edvard Grieg. On pensera aussi aux américains Alan Hovhaness ou Aaron Copland qui, pour l’un dessine des lieux dans Mysterious Mountains (1955), pour l’autre définit le sauvage dans son Appalachian Spring (1944). Comme tous les musiciens que je viens de citer, Virginia Astley s’appuie sur un folklore pour concocter un matériau nouveau et inédit. C’est à la fois très anglais et absolument universel.
Comme tous les musiciens que je viens de citer, Virginia Astley s’appuie sur un paysage pour composer. Un paysage, ce n’est pas seulement un lieu, c’est aussi et surtout une histoire, des émotions et des traces d’un passé un peu oublié. Dans The Singing Places, elle nous transporte littéralement dans un ailleurs où tous ces éléments, ces bruits, cette musique comme chuchotée, comme un soupir, ces chants d’oiseaux, redéfinissent la vie, recomposent la réalité pour mieux la sublimer.
Alors, cher lecteur, si tu veux gagner un peu moins de 30 minutes de bonheur total, il ne te reste plus qu’à te laisser happer par la magie indicible de l’univers de Virginia Astley.
Greg Bod