Une déferlante instrumentale se prend sur scène, là où se brisent les notions d’espace et de temps, et où s’abandonner pour de bon aux odes bouleversantes et éclatantes d’Explosions In The Sky.
Le dernier album d’Explosions In The Sky est une formidable manière de synthétiser toute la puissance du groupe, mais une tenace nostalgie pourra faire regretter à certains la saveur des premiers. Là, toutefois, où les débats se taisent, c’est bien lorsqu’il monte sur scène, et son passage au Bataclan ne fait pas exception.
En entrée de cet ambitieux menu, Midscale, qui porte l’étendard du shoegaze et emprunte au post-rock ses meilleures armes, proposait une excellente introduction à ce qui allait suivre. On ne peut que deviner l’honneur d’ouvrir pour de telles figures tutélaires, et mission réussie pour cet alliage habile de distorsions bruyantes et d’arpèges vaporeux. Sombres mais pas tout à fait obscures, impétueuses mais mesurées, les guitares du quatuor parisien cultivent un entre-deux où se mêlent frustration et résilience. Enchaînant les morceaux comme autant de couleurs d’un nuancier patiemment travaillé, Midscale se complait dans des tons forts mais faillibles, et c’est là toute la saveur d’un voyage intense et poignant, d’une ascension tortueuse, dont il ne reste qu’à écrire la suite.
Pourquoi s’embarrasser d’un nom sibyllin quand on peut paraphraser sa propre musique ? « Nous sommes les explosions dans le ciel » : ce sont les quelques mots de Munaf Rayani qui en disent plus qu’ils n’y paraissent et qui suffisent, car la suite se passe loin des micros. Le concert d’Explosions In The Sky sera un flot interrompu, un itinéraire méticuleusement tracé d’une embarcation au gré des flots sonores que le groupe sillonne depuis maintenant plus de vingt ans. On se dira d’ailleurs qu’ils ont vraiment des têtes de darons, avec leurs cheveux grisonnants et leurs chemises bien boutonnées, la parfaite incarnation de leur filiation paternelle au post-rock, finalement. Des icônes donc, mais qui s’effacent rapidement derrière leurs instruments, ouvrant grand les portes d’un univers musical qui ne s’embarrasse pas de mots pour exister. Pour toutes les paires d’oreilles venues se recueillir ce soir-là, c’était l’occasion de se laisser aller à un voyage hors-normes, ou plutôt un retour aux sources prodigieux, selon le point de vue.
Du début à la fin, des premiers aux derniers albums, rien ne dépasse et pourtant tout explose, c’est une déflagration perpétuellement contenue, des guitares dorlotées sitôt saignées. Catastrophe and The Cure, la catastrophe et la guérison, tout est là. Dans la pénombre, les yeux fermés, l’aller-retour entre abîmes et sommets est désarmant, si bien qu’on en perd ses repères. Plus vraiment de notion du temps, très peu des morceaux qui s’écoulent, si ce n’est pour repérer les introductions prodigieuses de certains (The Birth and Death of the Day, Your Hand in Mind), et savourer la force des nouveaux venus, The Fight en tête de liste. Que Michael James pianote sur sa guitare ou embrase sa basse, que quelques accords résonnent lestement dans la salle ou qu’un couperet sonique ne s’abatte sur scène, la poésie muette d’Explosions In The Sky emplit tout l’espace, s’engouffre partout où elle le peut, chuchote à nos oreilles, laisse s’installer l’impatience de la mise à feu des folles montées de noise et d’adrénaline dont c’est leur spécialité.
L’odyssée céleste prend fin dans la même clameur qui a cueillie l’arrivée du groupe, cette fois-ci teintée d’une profonde reconnaissance pour ce moment que l’on devine assez unique, dont on ne veut pas vraiment sortir, dont on voudrait prolonger quelques minutes encore la magie.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil
J’étais à ce concert dans la lignée de Mogwai. Bon compte rendu.