Sous l’influence de l’école Laurel Canyon, la californienne Kacey Johansing signe un quatrième album, Year Away qui dépasse le seul exercice de style entre contemplation et confession.
Le son Laurel Canyon est décidément vraiment dans l’air du temps ces dernières années. Redite ou réappropriation ? s’interroge t-on. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir les talents de mélodistes d’une Carol King ou d’une Joni Mitchell. Et puis la musique est un art mouvant qui se nourrit des soubresauts de la société, de son évolution. Reprendre de vieilles formules inspire souvent chez l’auditeur une suspicion de surplace, un sentiment vaguement rétrograde. Si l’on pousse plus loin encore le raisonnement, c’est vrai qu’à force de recycler des références, on n’a pas vu émerger de nouvelle école musicale depuis la mi-temps des années 90 avec le courant Trip Hop, dernière révolution en date dans l’univers de la composition. La musique s’en porte-t-elle plus mal pour autant ? Pas sûr car on a vu de grands groupes émergés et de grands disques révélés. S’appuyer sur un patrimoine, ce n’est pas forcément faire preuve de paresse, loin s’en faut.
Sans doute que cet ère de la redite, de la réappropriation de genres anciens correspond à une phase de transition comme la musique populaire en a connu tant. Sans doute, de ce travail naîtra un courant qui viendra tout bousculer. Pour l’heure, la californienne Kacey Johansing réinvente le son de Laurel Canyon sur Year Away en y insufflant une forme d’urgence lyrique. Toute la difficulté à l’écoute de cet album, c’est de savoir dépasser le premier titre, Year Away qui donne son nom au disque tant ce morceau est sublime d’une beauté et d’un engagement au chant de Kacey Johansing. Elle affirme dans ce titre un lyrisme qui va croissant tout au long de cette narration assumant pleinement son caractère dramatique. On est ici dans les sentiments à leur plus fort mais un raffinement qui ne faiblit jamais. On a des larmes dans les yeux comme devant un mélo de Douglas Sirk, c’est beau comme la suite de Frank Skinner pour Imitation Of Life. C’est bouleversant de lyrisme et d’innocence.
Sur Year Away, Kacey Johansing s’inscrit dans la perpétuation d’un patrimoine, le great american songbook qui court du Tin Pan Alley en passant donc par le Laurel Canyon. Très direct et très arrangé à la fois, Year Away cache avec modestie ses subtilités préférant privilégier le confort de l’auditeur. Year Away nous brosse dans le sens du poil mais celui qui saura dépasser ce sentiment doux devinera un fond peut-être plus sombre et plus complexe. La jeune femme joue avec les références et les climats, ici Burt Bacharach, là Carol King, ici, Laura Nyro, là, elle-seule, Kacey Johansing.
Ce qui est remarquable sur ce disque, c’est la production sur la voix de Kacey Johansing, véritable atout de l’artiste, Old Friend en est peut-être le plus bel exemple. Kacey Johansing nous met à terre avec ce chant tout en maîtrise conjuguant aussi bien le lyrisme, la puissance que la retenue et la douceur. Les plus durs d’entre vous n’y comprendront goutte ne voyant qu’un étalage de sensibleries mais les autres sauront s’approprier cette confession sincère. L’américaine construit une Pop ouvragée, racée aux harmonies somptueuses. Year Away est un album un peu en trompe-l’œil qui peut donner des soupçons de facilité à son auditeur, celui qui l’écoutera un peu trop vite. Derrière cette efficacité Pop se cache un décor plus obscur, plus fébrile. On croise ici et là une tension sous-jacente, une obsession jamais vraiment dite, une menace jusque dans les attaques nerveuses de son piano sur Daffodils où elle rappelle le meilleur de Tori Amos.
Douglas Sirk dit selon Fassbinder :
On ne peut pas faire des films sur quelque chose, on peut seulement faire des films avec quelque chose, avec des gens, avec de la lumière, avec des fleurs, avec des miroirs, avec du sang, précisément avec toutes ces choses insensées qui en valent la peine.
Et s’il en allait de même avec la musique. On raconte ce qui est nous, notre chair, notre sang, notre peur et notre attirance du miroir. C’est sans doute pour cela qu’il faut toujours se méfier de ces albums très directs car quand ils sont élaborés par des artistes au raffinement rare, ils affirment leurs émotions de manière limpide pour mieux masquer ce qui se joue ailleurs. Kacey Johansing influence notre regard pour mieux nous tromper, la vérité est ailleurs disait l’autre et il n’a pas tort.
Year Away diffuse une musique hantée par des spectres, celui de Karen Carpenter, celui de Burt Bacharach, ceux du Fleetwood Mac. Un disque fatalement accueillant et qui cache bien des coins d’ombre.
Greg Bod
Kacey Johansing – Year Away
Label : Night Bloom Records
Sortie le 13 octobre 2023