Grand set spectaculaire d’Archive hier soir à l’Accor Arena : le collectif a offert à son public une véritable démonstration de force. Avec, petite cerise sur ce gros gâteau, nos chouchous d’October Drift…
Sans doute me faut-il commencer cette chronique par un aveu : Archive ne m’ont jamais particulièrement passionné. J’y ai toujours vu une version moderne, et donc un peu plus élégante, certes, de Pink Floyd. Or je n’ai jamais réussi à aimer Pink Floyd une fois Syd Barrett parti, et surtout une fois Waters installé aux commandes. Pourquoi aurais-je donc pris la peine d’écouter Archive, après avoir oublié ma rencontre avec Take My Head, leur très bon second album, dans la vague trip hop ? Ce qui m’a amené à l’Accor Arena ce soir, c’est la perspective de voir jouer sur scène October Drift, dont le second album m’a emballé, et qui assurent la première partie de la soirée. Est-ce une mauvaise raison ? Elle en vaut bien une autre, et puis découvrir une musique que je connais peu, comme celle d’Archive, sur scène, peut très bien s’avérer une belle surprise, non ?
19h50 : la fosse est encore peu remplie pour l’entrée en scène d’October Drift, qui doivent se réjouir quand même de pouvoir jouer en France devant le public considérable qu’Archive attire dans notre pays. Comme prévu (ou comme redouté ?) l’intro de leur set sur Lost Without You sonne un peu creux, mais le quatuor est déjà à fond. Headbanguant comme un groupe de metal, October Drift conjuguent les mélodies impeccables de leurs chansons faites pour être populaires avec une énergie de garage band qui semble jouer son existence à chaque titre : et c’est une formule qui n’est pas si courante que ça, d’aborder Bercy comme si c’était une version juste un peu dilatée du Supersonic. Au fur et à mesure des titres, le son prend de la consistance et Kiran Roy, le chanteur et guitariste, descend de la scène, traverse la large fosse jusqu’au public pour venir s’y engloutir. Un public qui ne bouge pas beaucoup, mais qui au moins applaudit généreusement ce groupe qui n’est pourtant pas dans le ton de la soirée. Ce set d’une trop courte demi-heure, bien qu’en dessous de nos attentes, démontre la puissance de feu d’October Drift, et le sentiment impressionnant d’urgence qui se dégage d’eux. On devrait les revoir en 2024 dans une salle parisienne plus appropriée à leur jeune fougue…
20h50 : Le retour sur une scène parisienne, après les années Covid et le problème de santé de Darius Keeler, le co-leader du « collectif » (puisqu’ils se qualifient ainsi) Archive, débute sur une longue intro planante électronique, et même un petit « bug » quand les musiciens n’apparaissent pas sur scène à la fin de celle-ci : ce sera d’ailleurs le seul cafouillage d’un concert techniquement irréprochable, voire régulièrement impressionnant. Les choses sérieuses commencent avec un Mr Daisy qui, littéralement, envoie du bois, sur lequel Sane surenchérit, avec sa rythmique, ses « Na Na Na » et ses paroles faciles à reprendre (« Can’t stop looking and you can’t stop taking it in / Head’s full baby, but you can’t stop taking it in » – Je ne peux pas arrêter de regarder et tu ne peux pas arrêter de recevoir / Notre tête est pleine, mais tu ne peux pas arrêter de recevoir…). Le light show est spectaculaire, avec ses lumières rasantes, même si les musiciens sont la plupart du temps dans l’obscurité. The False Foundation accélère et intensifie l’indie rock techno inventé par New Order au début des années 80, et s’avère parfaitement irrésistible dans une version live pleine d’urgence.
Après un tel démarrage en force, on se doutait bien que la pression devrait redescendre : c’est le job du « pinkfloydien » Vice de ralentir le set tout en maintenant l’intérêt. Ce sont des hurlements de joie qui accueillent Bright Lights et son long crescendo sonique. Et puis on se perd un peu dans le long chaos – qui sait heureusement monter en puissance quand il le faut – de Coma, avant l’inclusion bienvenue de la voix féminine sur le lyrique – et bien moins planant en live que sur l’album – Surrounded by Ghosts. Bien accueilli par le public – on frappe dans les mains – le titre surpuissant et obsédant The Skies Collapsing Onto Us, illustrant le film Netflix Voleuses, refait monter la pression dans la salle. Puis c’est l’intro de Take My Head, et nous voilà de retour en 1999, sur un riff énorme boosté par un son colossal : c’est la seule trace restant dans la setlist de l’Archive trip hop des débuts, et, très sincèrement, son interprétation n’a rien de trip hop ! On atteint un nouveau pic d’intensité dansant sur une version très directe, très « crowd pleasing » de The Crown. Fear There & Everywhere a plus un format classique de chanson rock, à la fois planante, lourde et emphatique, « pinkfloydienne » aussi (placez-la au milieu de The Wall, et elle passe comme une lettre à la poste !), mais son refrain répétitif – et politiquement pertinent – fonctionne parfaitement (« Fear there everywhere / Burning inside of me / Fear there everywhere / Killing the light in me » – La peur, partout / Elle brûle en moi / La peur partout / Elle tue la lumière en moi).
On ne peut pas dire que les musiciens d’Archive soient de joyeux drilles, et « Merci, Paris ! » est la seule phrase prononcée – mais à plusieurs reprises, quand même – ce soir par le groupe, au moins jusqu’au rappel où un minimum de communication est enfin établi avec un public qui, pourtant, est l’un des plus fidèles au groupe (rappelons qu’Archive ne sont guère prophètes en leur pays, et que, comme Cure à son époque, ils sont bien plus aimés et respectés en France qu’Outre-Manche…).
C’est maintenant au tour de la longue pièce Enemy, qui enchaîne pendant une dizaine de minutes des atmosphères bien différentes, assez théâtrales parfois, et qui culmine dans un paroxysme final de violence soulevant l’enthousiasme de la foule. L’intro, presque dépouillée après ce qui a précédé, de The Empty Bottle annonce une sorte d’hymne lyrique pour stadium rock (à la U2 ?) : « Please be there ! » D’abord dissonant, Gold s’envole sur une ritournelle aux claviers, puis sur un beat puissant : c’est le finale grandiose d’un set de 1h45… Serait-ce terminé ? Mais non, une boucle nous fait patienter sous une pluie dorée qui éclaire la scène, avant le rappel : tout le monde est debout (… mais bon, les gradins, paresseux comme toujours, se rassiéront progressivement…).
« What do we say to the people who want to fuck this planet ? Fuck U ! » annonce le « tube » Fuck U, une chanson engagée contre les gouvernants (« de la musique zadiste », comme la qualifie un ami !) : une chanson simple, presque simpliste, mais fédératrice, et qui fonctionne parfaitement. « When you look at yourself do you see what I see? / If you do why the fuck are you looking at me? / … / So fuck you anyway! » (Quand tu te regardes, est-ce que tu vois ce que je vois ? / Si c’est le cas, alors pourquoi tu me regardes, bordel ? / … / Alors va te faire foutre quand même !). Archive enchaînent avec le détonant Bullets (« Personal responsibility (Insanity) » – Responsabilité personnelle / folie), l’un des morceaux du set où les guitares sonnent le plus dures.
On croit que c’est fini, cette fois, mais non : « One more song ! » nous annonce-t-on, et les téléphones portables, et même quelques briquets, illuminent la salle ! Ce sera donc au très long crescendo lyrique de Again, durant plus d’une dizaine de minutes, qu’il est assigné la tâche de nous mener jusqu’à une lente explosion cathartique. Et de conclure 2h20 d’un concert généreux, parfois irrégulier, mais qui traduit une approche ambitieuse d’une musique déclinant l’engagement politique du collectif sur des formes finalement très variées.
Même si les fans diront que ce concert était moins convaincant que celui de la tournée précédente, pour un néophyte comme moi, j’y ai trouvé de quoi me nourrir, de quoi me faire cogiter, de quoi me réjouir et me faire danser. Que demander de plus, finalement ?
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Salut Benzinemag,
Merci encore pour ces articles, on s’y croirait, je vais reprendre la playlist et réécouter les titres joués lors de ce concert.
J’imagine très bien la puissance vibrante de ce concert qui doit laisser quelques traces dans le corps.
J’aurais beaucoup aimé y être, et c’est certainement l’un des bonheurs de vivre à Paris de pouvoir connaître ces instants de magie.
Depuis mon petit coin de ruralité, je vous lis et c’est déjà pas mal.
Et October Drift que je ne connaissais pas, j’adore.
Bises Benzine,
Cédric
Merci Cédric pour ton commentaire qui nous récompense un peu du travail que nous faisons (et que nous adorons, bien entendu) ! Keep on rockin’ !