Lessons in Chemistry est une éblouissante mini-série qui réussit parfaitement à concilier mélodrame subtil et engagement politique, dans un équilibre chimique instable mais fascinant. Et avec, cerise sur le gâteau, une Brie Larson merveilleuse.
“In my experience, people do not appreciate the work and sacrifice that goes into being a mother, a wife, a woman. Well, I am not one of those people. At the end of our time here together, we will have done something worth doing. We will have created something that will not go unnoticed. We will have made supper, and it will matter.” (D’après mon expérience, les gens n’apprécient pas le travail et les sacrifices nécessaires pour être une mère, une épouse, une femme. Eh bien, je ne fais pas partie de ces personnes. À la fin de notre temps ensemble, nous aurons fait quelque chose qui en vaut la peine. Nous aurons créé quelque chose qui ne passera pas inaperçu. Nous aurons préparé le souper, et cela comptera. » Cette phrase, remarquable, est celle que prononce Elizabeth Zott, l’héroïne de Lessons in Chemistry, au début de l’émission qu’elle présente à la télévision, une « émission de cuisine », comme on dit de manière un peu méprisante. Mieux que tout le discours très féministe d’une série qui peut être qualifiée de « militante » – et que les bataillons de réactionnaires « anti-woke » occupant les réseaux sociaux détesteront viscéralement ! -, ces mots qualifient parfaitement la construction sociale du genre, et la facilité avec laquelle la place de la femme est minimisée, voire ridiculisée par ceux qui détiennent le pouvoir, les « mâles ».
Tirée d’un roman populaire aux USA de Bonnie Garmus, Lessons in Chemistry est une mini-série aussi incisive « politiquement » qu’absolument délicieuse à regarder : située dans la Californie des années, elle nous régale de paysages de banlieues verdoyantes et ensoleillées, de vêtements merveilleusement élégants portés avec une grâce que notre société moderne semble avoir totalement oubliée. Mais bien sûr, un peu comme pour Mad Men, une série finalement assez proche, toute cette sophistication cache un monde d’une brutalité et d’une noirceur sans fond : Elizabeth Zot, chimiste de génie dans un monde qui n’accepte pas qu’une femme puisse avoir ce genre de talent, va lutter, largement en vain, pour être reconnue, ou pour simplement pouvoir faire le métier qu’elle aime. Elle ne pourra guère que cuisiner à la télévision, sur une chaîne locale de second plan. Pourtant, son combat continuera et elle transformera son émission en tribune pour défendre la juste place de la femme dans la société, se heurtant sur son parcours à toute une ribambelle de mâles odieux.
Allant plus loin encore, Lessons in Chemistry consacre une partie de son temps à articuler le concept d’intersectionnalité, à travers le personnage d’Harriet, brillante femme de couleur dont la carrière d’avocate est mise entre parenthèses pour élever ses enfants, puis qui se dressera contre le projet de construction d’une autoroute devant passer à travers un quartier noir, donc totalement sans importance pour les autorités de la ville de Los Angeles. Il faut bien admettre que ce fil narratif, en parallèle de l’histoire principale, est le plus faible, et n’apporte pas grand-chose à la série.
Rassurons toutefois ceux ou celles qu’une série 100% militante repousserait, Lessons in Chemistry parle aussi très joliment d’amour, et très profondément de deuil : il est difficile de ne pas verser de grosses larmes durant plusieurs épisodes consacrés à la perte d’être aimés, dans un style mélodramatique très joliment mesuré, jamais excessif… Et la mini-série bénéficie d’un scénario particulièrement intelligent qui ménage de nombreuses surprises au téléspectateur lorsque toutes les pièces du puzzle (mais un puzzle dont nous ne soupçonnions même pas l’existence) se mettent en place au tout dernier épisode : c’est littéralement bluffant !
Mais il faut aussi reconnaître que, au delà des qualités du scénario, de la mise en scène et de la décoration de Lessons in Chemistry, si la mini-série est une telle réussite, c’est grâce à la présence lumineuse de Brie Larson, idéale dans son interprétation d’un personnage psychorigide qui va peu à peu s’ouvrir au monde, mais également magnétique dans un rôle quasi iconique de « blonde fronde hitchcokienne » : selon les plans, elle évoque Grace Kelly ou Françoise Dorléac, et elle déploie une magie de vraie « star du 7ème Art ». L’échec retentissant de The Marvels devrait permettre à une actrice de ce calibre d’arrêter de perdre son temps avec les niaiseries disneyo-marvelienne et de nous offrir d’autres grands rôles comme celui d’Elizabeth Zott.
Eric Debarnot