Trois ans après Baked, une splendeur pop impensable de la part d’un jeune groupe français, Extraa reviennent et… doublent la mise avec un Out of Phase tout aussi beau, et qui plus est moins évidemment référencé.
On avait, il faut bien l’admettre, un peu perdu la trace d’Extraa depuis la mi-2020, quand leur premier album, Baked, nous avait frappé en plein cœur. On en était resté avec ce sentiment doux amer qui subsiste après un amour de vacances : des moments trop beaux pour être vrais, une musique lumineuse comme un été qui ne pouvait pas durer,… alors on s’était résigné à revenir aux guitares plombées et aux chansons sombres d’une époque qui ne sourit pas beaucoup. Et on a attendu ce deuxième album, dont le groupe nous avait promis qu’il sortirait très vite, puisque des chansons étaient déjà prêtes. On a attendu. Et rien n’est venu. Jusqu’à ce que, badaboum, habillé dans une pochette aussi superbe que (relativement) mystérieuse, voici que notre amour perdu revient : Out of Phase est une nouvelle merveille pop qui, d’un côté, reprend les choses là où on les avait laissées, dans la ligne d’une tradition psyché anglaise de la fin des années 60 (Beatles, Stones, Kinks, Pink Floyd de Syd Barrett, tout ça…). Mais qui, et c’est un progrès important, semble avoir pris une certaine distance avec ces sources d’inspiration forcément envahissantes.
Dès le magique Somewhere qui ouvre l’album, on retrouve le chant envoûtant d’Alix Lachiver posé sur une musique suave et accueillante, qui remet de la lumière en ce début d’hiver sinistre, qui donne envie de se lover dans cet univers doux, où la mélodie pop « classique » règne. Eden Boy introduit des guitares plus présentes, plus agressives (mais jamais lourdes), qui actualisent élégamment la musique d’Extraa, et la positionne clairement en 2023… même si il ne manquera pas de petits malins qui pointeront que c’est surtout là l’ajout de nouvelles influences shoegaze ou indie rock des années 90, ce qui, évidemment, n’est pas totalement faux. Blue Jeans, sur une rythmique reggae (eh oui !) sautillante, ouvre grand encore le sac magique d’Extraa et déballe des guitares belliqueuses, des « la la la » qu’on chantera immédiatement et une autre mélodie irrésistible : l’un des sommets de l’album, qui s’apparente néanmoins à une course poursuite sur les cimes. All Good est un morceau « à étages », quasi cinématographique, qui fait défiler des images dans nos têtes, au fur et à mesure qu’il passe d’une musique de série TV policière à dream pop romantique et urbaine en passant par une surf pop évoquant les plages californiennes.
God est tout simplement sublime : posée sur des cordes nostalgiques, puis sur une orchestration délicate, la voix d’Alix évoque une tristesse sublime, quelque part – et c’est un gros compliment que voilà – du côté des grandes réussites qui nous ont brisé le cœur de EELS. I live in Reverse (part I & II), avec ses presque cinq minutes, est le titre le plus long, le plus complexe aussi de l’album : dans l’esprit des mini-opéra rock de poche dont les groupes psyché étaient férus au milieu des années 60, voilà une construction arachnéenne pour funambules qui retombent toujours sur leurs pieds, et sans doute le seul titre du disque qui nécessitera plusieurs écoutes pour en goûter toute la saveur.
Saint Serge (Gainsbourg ?) a un format plus classique, mais se referme sur un joli et bref jeu de cordes. Jay renvoie au passé folk d’Alix, et offre une rupture de ton rafraîchissante, avec l’inclusion d’une harpe qui enrichit le morceau. Quand la ville dort est une reprise d’un titre de Niagara – pas l’un de nos groupes préférés, mais pourquoi pas ? – et nous offre un duo vocal entre Alix et Loïc Fleury (Nautilus) : du côté positif, c’est très intéressant d’entendre Alix chanter en français, ce qui prouve qu’Extraa pourraient investir plus dans leur langue maternelle ; de l’autre, c’est une chanson qui s’avère trancher franchement avec le reste de l’album, et qui n’a pas vraiment sa place ici. L’album se clôt sur King Arthur, une conclusion enlevée qui voit le groupe faire allégeance à la pop anglaise de la plus belle manière…
Espérons qu’il ne nous faudra pas encore attendre 3 ans pour un troisième album qui sera, forcément, celui de la consécration planétaire pour Extraa. Il ne saurait en être autrement.
Eric Debarnot