La hongroise Adela Mede signe avec Ne Lépj a Virágra un second disque absolument inclassable entre avant-Folk et expérimentations sonores. Les pièces à découvrir s’appuient sur son chant pour une expérience étrange.
Fort heureusement, les croyances et les superstitions évoluent. Les temps changent et nous changeons avec eux. Combien d’épileptiques croyait-on envoûté et possédé par le démon ? Combien de femmes peut-être plus libres que d’autres ont fini sur le bûcher ? Combien de sorcières sacrifiées sur l’autel d’un virilisme tout puissant ? Combien d’êtres détruits sous le couperet de l’incrédulité ? L’obscurantisme n’est jamais loin, il se terre dans les arrière-cours et les sous-sols de nos bien-pensances.
Adela Mede serait née quelques années plus tôt qu’il ne fait aucun doute que cette jeune femme hongroise aurait finie sur le bûcher, à nourrir les flammes de nos craintes. Il faut dire qu’on avait déjà remarqué cette artiste avec Szabadság, son premier album en 2022. La radicalité et la maturité de ses compositions nous avaient fortement marquées. Il faut dire qu’Adela Mede ne se prête jamais à la moindre facilité, il faut aussi reconnaître que ce disque comme son aîné ne parlera pas à tout le monde. Celui qui recherche une certaine forme de cohérence, la fluidité d’une narration devra passer son chemin. Ne Lépj a Virágra n’est assurément pas fait pour lui. Pourtant, il y a dans ce sabbat, dans cet acte païen, dans ce sacrifice sonore une force que l’on ne peut que reconnaître. Juxtaposant dans un même effort le minimalisme et le folklore, Adela Mede invente un terreau inconnu. Evoluant entre le drone et les expérimentations vocales, Ne Lépj a Viragra , à traduire par ne marche pas sur la fleur nous envoûte.
Ce qui passionne Adela Mede c’est cet espace ténu entre la voix et les field recordings, la confrontation du chant folklorique avec la technologie. L’un et l’autre s’infiltrant dans l’un et l’autre, l’un et l’autre se pervertissant. L’album a été créé à la frontière slovaco-hongroise et laisse entendre les empreintes sonores du pays environnant, ainsi que la terre du folklore, des expériences numériques, des histoires de famille, des fragments surréalistes et des descriptions répétitives de cycles naturels. Elle chante sur l’enregistrement en trois langues différentes (slovaque, hongrois, anglais), chacune caractérisée par une intonation et une harmonie différentes. La voix est un instrument musical à part entière pour Adela Mede, mais il ne faut pas oublier le contenu poétique et la profondeur émotionnelle qui se dégage de cet ensemble.
A travers cet album, Adela Mede raconte l’Europe de l’est dans des fragments surréalistes. Elle peut ici être dans des textures électroniques comme sur Nestoj Nado Mnou puis revenue au seizième siècle sur le sublime Sing With Us. Elle clame haut et fort en italien Io Sono Qui, Je suis ici. La musique d’Adela Mede est une musique de l’instant, de l’éphémère, de l’expérience avec le temps présent. Travailler dans l’instant présent c’est se laisser l’opportunité de voir les pensées inconscientes surgir dans notre réalité, s’immiscer dans une autre réalité.
Si l’on doit rapprocher Ne Lépj a Viragra de quelque chose de connu, on pourrait évoquer certaines œuvres de Terry Riley ou plus prés de nous Akira Rabelais et son Spellewauerynsherde (2004). Comme ce dernier, on sent Adela Mede fortement influencée par les compositions de György Ligeti.
La musique très expressive d’Adela Mede ne se laisse pas pour autant apprivoiser et résiste à nos assauts, conservant pour elle une large part d’énigme.
Greg Bod
Adela Mede – Ne Lépj a Virágra
Label : Warm Winters Ltd
Sortie le 3 novembre 2023