L’italien exilé à Toronto Daniel Colussi devrait ravir les fans du Destroyer période Kaputt avec ses chansons Pop foutraques. Eight Waves In Search Of An Ocean, ce quatrième album de Fortunato Durutti Marinetti batifole allègrement entre l’atonalité de la voix et le kitsch assumé des compositions.
Les disques les plus attachants sont souvent ceux que l’on n’attend pas. Ceux que l’on découvre un peu fortuitement, par la beauté d’une pochette, par le conseil d’un ami avisé. Ils nous prennent un peu par surprise, on se plait à y revenir régulièrement. On ne les qualifierait pas de chefs-d’œuvre, c’est certain mais peu importe, le plaisir est ailleurs. Et quand il y a du plaisir, il n’y pas de gêne. Bien entendu, on y entend toutes les influences, les références pas toujours totalement digérées. Ces disques-là nous rassurent car on y entend ce que l’on voulait y entendre.
Le quatrième album de Fortunato Durutti Marinetti, Eight Waves In Search Of An Ocean, on ne l’attendait pas. Certes, l’Italie nous propose depuis quelques années son lot de créateurs passionnants. Que ce soient Iosonouncane ou Andrea Laszlo De Simone, ils redorent le blason d’un pays qui nous a aussi proposé par le passé son lot de chansons sirupeuses et indigestes. Daniel Colussi qui se cache derrière cet alias, Fortunato Durutti Marinetti, parvient à réconcilier l’esprit d’œuvres aussi diverses que celles de Destroyer, Lou Reed, Robert Wyatt ou Annette Peacock. Il ne sera pas aisé de classer ce disque un peu à la charnière de plusieurs genres, du Jazz au Folk en passant par de la Synth Pop. Ce qui est remarquable par contre sur Eight Waves In Search Of An Ocean, c’est cette volonté à vouloir malaxer des matières désuètes voire kitsch. C’est aussi un peu comme si Colussi s’amusait à nous glisser des indices dans ses chansons à tiroirs, des indices pareilles à des références.
Avec sa voix atone à la Droopy, Daniel Colussi rappelle un Buster Keaton, cet homme qui ne souriait jamais, il évoque une dépression radieuse. Il y a dans la musique de l’italien ce syndrome de l’imbécile heureux. Il ose aussi bien des régressions à la Ariel Pink ou à la John Maus sur Clerk Of Oblivion que des ballades comme inédites de Leonard Cohen le temps de The Flowers. Le problème de ce type de disque, c’est qu’on ne le prend pas suffisamment au sérieux, y voyant parfois un peu rapidement un simple exercice de style. Un artiste qui ferait à la manière de, à la manière de Cohen ou d’Ayers. Sauf qu’il faut dans cette hydre à mille têtes et autant de visages l’expression d’une schizophrénie créative fébrile. Dans cette multiplicité, on peut voir un patchwork comme l’on peut voir un artiste libertaire, un artiste en pleine recherche.
Et puis la couverture de l’album est un évident hommage au premier album de Jean-Claude Vannier en 1972, L’Enfant Assassin Des Mouches. Il y a quelque chose de vicié dans la Pop de Fortunato Durutti Marinetti, une ironie un peu mordante, une distance face à l’auditeur. Un peu comme ce que l’on entendait sur le R/O/C/K/Y (2001) des Married Monk, sur les disques de Fabio Viscogliosi. Comme ces musiciens, Daniel Colussi a bien compris la leçon apprise de ses écoutes des disques de Robert Wyatt, trouver sa voie (voix) et son identité, cela se fait forcément par la fusion des genres et par l’acceptation d’une forme de surréalisme dans ses propres formules. Il se dégage de Eight Waves In Search Of An Ocean un étrange sentiment, celui de naviguer à vue sur un océan à la fois calme et tempétueux. Eight Waves In Search Of An Ocean est paradoxalement un disque singulier et très référencé, c’est un disque malade et sain à la fois habité d’autant d’évidences que d’énigmes.
Eight Waves In Search Of An Ocean est à la fois déroutant, transparent et passionnant. Il est marqué par ses influences autant qu’il se dégage de toute classification. C’est aussi le roman de voyage, le carnet d’apprentissage d’un européen à la recherche de lui-même sur le continent américain.
Eight Waves In Search Of An Ocean est un disque limpide et complexe dans un même geste, aventureux et attachant.
Greg Bod