Dans son dernier roman, Déserter, Mathias Enard raconte, en parallèle, deux histoires entrelacés dans des chapitres alternés. Un livre baigné de poésie pour un auteur toujours inventif dans la forme.
Lire Mathias Enard, c’est accepter une séance de CrossFit pour ses neurones sans les tapes dans la main d’inconnus surexcités en sueur qui vous encouragent à vous faire encore plus mal pour perdre trois grammes.
Son exigence d’écriture impose de l’attention et il est agréable de suivre un auteur qui fait suffisamment confiance à l’intelligence de ses lecteurs pour ne pas tout leur écrire, pour ne pas mâcher toute l’imagination.
Son dernier roman raconte deux récits différents en surface, entrelacés dans des chapitres alternés.
D’un côté, un soldat sans nom a déserté pour échapper à la violence et aux atrocités d’une guerre. Pour fuir le monde, il se réfugie dans une cabane isolée de son enfance. Une femme, également en fuite, va croiser son chemin et troubler ses projets. Du Cormac McCarthy mixé avec du Giono avec un auteur marqué au moment de l’écriture par la guerre en Ukraine.
L’autre histoire est un hommage à la mémoire de Paul Heudeber, un mathématicien poète est-allemand, qui a inventé bien plus que le fil à couper le beurre, meilleur en géométrie qu’en géopolitique, incapable de résoudre l’équation de l’effondrement du mur de Berlin. Sa fille Irina restitue le déroulement d’un colloque à bord d’un paquebot de croisière en septembre 2001. Sur le rafiot, outre des universitaires et des savants, se trouve, Maja, le grand amour empêché de la vie de Paul. L’ancien rescapé de Buchenwald n’abandonnera jamais son militantisme communiste. Maja choisira elle une carrière politique de l’autre côté du mur et le récit offre des extraits de correspondances de cet amour à distance.
Deux récits différents mais qui partagent des destins broyés par l’histoire. La question de la violence de la guerre est au cœur de l’œuvre de Mathias Enard. Le soldat a déserté son armée pour sauver son âme, La jeune femme a déserté un village, Paul Heudeber a déserté la réalité pour ne pas perdre ses illusions idéologiques, Maja a déserté son couple pour l’action politique.
Toujours aussi inventif dans la forme et novateur dans la ponctuation, Mathias Enard glisse toujours beaucoup de poésie dans ses pages. Son érudition et la puissance de sa réflexion transpirent dans ses mots. Il n’y a jamais de phrase gratuite chez lui.
Si le récit du déserteur m’a vraiment embarqué, autant je suis un peu resté à quai du paquebot sur lequel se réunissaient les amis, collègues, élèves et amours du mathématicien pour évoquer son œuvre et sa vie. Peut-être parce que j’ai toujours été nul en math. La simple vision d’un rapporteur me traumatise encore. Peut-être parce que la forme de l’hommage génère un peu trop de distance avec l’histoire. le passé n’est jamais simple quand il est trop composé.
Mathias Enard reste néanmoins un auteur majeur et je ne déserterai pas ses prochaines parutions. Chez Enard, 1+1 = 1.
Oliver de Peco
Un merveilleux roman, plein de poésie, malgré la dureté tragique des destins de personnages que les aléas de l’Histoire entraînent vers l’ailleurs et/ou la désertion. Bravo à l’auteur qui convoque pour le plus grand plaisir du lecteur la géographie et l’histoire de l’Europe contemporaine, et aussi, même si l’on n’est pas familier des conjectures et des théorèmes, tout le mystère de la recherche en Mathématiques.