Datant de 1983 et enfin publié en France à l’occasion de la sortie du film Le Garçon et le Héron, Le Voyage de Shuna nous rappelle combien Miyazaki était – aussi – un excellent auteur de BDs, au delà même du format manga.
En 1983, la co-fondation par Hayao Miyazaki du Studio Ghibli, qui lui permettra de s’établir définitivement comme un auteur majeur dans le domaine de l’animation, n’est pas encore bouclée. Miyazaki est très actif comme mangaka, et publie au Japon ce Voyage de Shuna, visuellement assez proche de Nausicaa. Techniquement, il ne s’agit pas à proprement parler d’un manga, mais de ce que les Japonais qualifient de « emonogatari », c’est-à-dire d’un « récit illustré » : pas de bulles, pas de récit « dynamique » de case en case, mais de très belles aquarelles, avec un texte rédigé en haut ou en bas de chacune des illustrations. Jamais traduit en français jusqu’à présent, le Voyage de Shuna était devenu une sorte de « fantasme » absolu des fans, qui devaient se contenter d’une édition pirate en version anglaise : sa publication dans une très belle édition, au format bien plus grand que le format traditionnel du manga, est donc un véritable événement !
Le Voyage de Shuna raconte l’expédition du jeune prince d’un royaume misérable, dans un monde qui pourrait être celui de notre future, avec un appauvrissement « écologique » et une fragmentation de la civilisation, revenue à une structure féodale : Shuna part à la recherche de « semences dorées », soi-disant détenues par des créatures mythiques, et qui permettraient de relancer l’agriculture et donc nourrir son peuple.
Le récit est assez court, s’interrompant d’ailleurs « avant la fin » – le texte indiquant que la suite sera contée plus tard, ce qui, à notre connaissance, n’adviendra pas -, mais permet de parcourir tout une palette de sujets, voire d’obsessions de Miyazaki avec lesquelles les admirateurs des films du maître sont désormais familiers. Il faut remarquer des ruptures de ton assez inhabituelles, l’histoire débutant de manière assez proche de celle de Nausicaa, et plongeant d’un coup dans un monde onirique quasiment déroutant, démontrant une fois encore la puissance de l’imagination de Miyazaki. La dernière partie, récit du retour à lui d’un Shuna ayant à peine survécu à sa rencontre avec les divinités détentrice des graines, est également assez étonnant, montrant comment l’amour d’une jeune fille et sa patience peuvent triompher d’un traumatisme profond.
Il faut noter que Le Voyage de Shuna a été à un moment un projet de film, qui fut abandonné, mais de nombreux éléments en ont été repris par Goro, le fils de Miyazaki, pour son film Les Contes de Terremer. Sans parler du fait que Miyazaki lui-même a poursuivi dans une veine assez proche avec son extraordinaire Princesse Mononoké.
En tout cas, en l’état, Le Voyage de Shuna, sans être tout à fait une œuvre majeure, est un élément indispensable à la compréhension complète de la trajectoire de Miyazaki. La beauté de ses aquarelles, conjuguée au dynamisme de son imaginaire, devrait ravir tous ses lecteurs.
Eric Debarnot