Le laudanum est cette substance opiacée dont la consommation abusive peut-être mortelle. Par chance, il en existe une version musicale dont l’abus est recommandé : un triple album en 3 livraisons. Au programme : une électro profonde et sombre avec des invité(e)s remarquables. Une très grande réussite.
Voilà un projet qui n’est pas banal : sortir un triple album en 3 fois, en 6 mois (une sortie tous les 2 mois), plutôt qu’en une seule livraison. Il faut dire que Matthieu Malon, l’âme de Laudanum, celui qui habite ce projet depuis si longtemps, n’avait rien sorti sous ce nom depuis un petit moment. Ici, il nous la joue un peu « série », en nous permettant de profiter de chaque épisode en se languissant que le suivant arrive. Il nous laisse le temps de découvrir tranquillement chaque album, tout en sachant qu’un autre va suivre et puis encore un autre un peu plus tard.
Parce que ces 3 albums de Laudanum sont bel et bien les éléments d’une trilogie. Il y a le volume 4:1, le volume 4:2 et le volume 4:3. As black as my heart, sorti le 1er septembre 2023, As red as your lips, sorti le 17 novembre 2023, et de As blue as my veins (qui sortira en janvier 2024), forment un tout. Les morceaux se complètent, se parlent, se répondent. Ils peuvent s’écouter à la suite, ou même dans l’ordre dans lequel on veut. L’harmonie est complète. L’unité, totale. De toute évidence, nous avons une seule œuvre, ou mieux, ce sont 3 faces de la même œuvre. D’ailleurs, l’artwork de ces 3 albums confirme cette impression: il s’agit de 3 photos superbes, d’une même sculpture vue sous des angles différents, pour 3 albums qui offrent des perspectives différentes sur une même musique. De l’électro, évidemment, parce que c’est la maque de fabrique de Laudanum. Une électro-pop, qui s’inspire, prend sa source dans la même musique que celle de groupes énormes comme (n’hésitons pas) Depeche Mode – nous avons bien conscience que Laudanum n’est pas Depeche Mode, mais c’est un esprit très proche qui anime leurs musiques respectives. C’est une musique qui raconte des histoires similaires, qui évoquent les mêmes sentiments, qui suggèrent les mêmes émotions.
Cela veut dire une électro-pop mélancolique, noire, profonde et dense, pleine de recoins dans lesquels il fait bon de se perdre. Cela a toujours été la marque de fabrique de Matthieu Malon. Et il n’y avait pas de raison que cela change. Il arrive à tirer de ses machines des sons, souvent graves et grinçants, métalliques avec un soupçon d’industriel, qui transportent. Des morceaux souvent lents, méditatifs, un peu hypnotiques et qui jouent quelque fois sur la répétition de certains motifs harmoniques. Et sur ces motifs, viennent se poser les voix.
Et on peut vraiment saluer la réussite de Matthieu Malon : non seulement avoir convaincu de chanter, slammer, parler sur ses morceaux des artistes incroyables, mais aussi avoir pu combiner musique et voix de manière remarquable. Difficile de les citer toutes ou tous, et n’en mentionner que quelques-uns est profondément injuste. L’important est que toutes et tous ont fait un travail de premier plan. Jamais, on a l’impression que les voix ont été rajoutées, qu’elles ne vont pas, ou que c’est un artifice fait pour faire briller la musique. Au contraire. La fusion est parfaite. Les voix donnent à chaque morceau une force, une profondeur, une puissance qu’ils n’auraient probablement pas autrement. Ou plutôt, voix et musique se combinent pour donner des morceaux puissants. Mais aussi chaleureux, organiques, véritablement humains.
Et s’il faut malgré tout faire un choix, parce qu’on ne peut pas ne pas aimer certains morceaux plus que d’autres, il faut reconnaître que certains morceaux vous serrent vraiment le cœur. Parmi les plus belles réussites de cette trilogie, on trouve Complicit (chanté par Alice Hubble), ou encore l’énorme To the lighthouse (sur lequel l’extraordinaire Chloé Saint-Liphard fait des miracles), la dernière minute trente explosive de The argument song, mais aussi le très très bon i want the horizon (feat. Scott Mccloud & DJ Need) ou The trophy room (avec Tim Farthing), sur le premier, et enfin le génial m_i_g_s (featuring Christian Quermalet) sur le dernier volet de la trilogie. Autant de morceaux qui, pour des raisons différentes, donnent des frissons… Ces morceaux sont probablement les meilleurs de ces albums à la qualité par ailleurs remarquable.
Alain Marciano