Qui ne les connait pas pourrait les croire tout juste dénichés, et pourtant c’est bien avec 30 années d’ancienneté que Blonde Redhead a envoûté la Cigale : la force d’un groupe majeur en perpétuel renouvellement, pour qui la scène est une humble démonstration de savoir-faire.
Trio singulier, souvent resté dans l’ombre depuis les années 2000 et pourtant plébiscité avec ardeur que celui de Simone et Amadeo Pace, ces deux jumeaux italiens à la batterie et la guitare, associés à Kazu Makino, chanteuse et claviériste japonaise, bassiste et guitariste à l’occasion. Discrètement, tous trois sont devenus des institutions du rock indé, mais après neuf années d’absence, on n’attendait pas forcément leur retour. Bonne surprise donc, que la sortie de leur dernier disque, un dixième album pour presque autant de directions explorées en trois décennies.
Adeptes d’un rock bigarré, maintes fois remodelé, Blonde Redhead cultive précisément les marges du familier, ne se satisfait jamais d’une esthétique et déçoit rarement. Avec Sit Down For Dinner, il se décline encore sous une nouvelle forme, laissent loin derrière les expérimentations noisy et opte pour une belle évolution vers des paysages plus épurés, mais non moins chaleureux. Point d’orgue de cette renaissance – si toutefois il a un jour dépéri – en cette fin d’année avec une Cigale pleine à craquer.
L’engouement semble être plus actuel que jamais autour du trio, des trépignements d’impatience, des cris d’amour (plus ou moins bien adressés au demeurant) et de joie accueillent le groupe et comblent chaque silence qui ponctue le set. Et quel set ! On ne parie pas sur le mariage de disques aussi disparates que ceux de la discographie de Blonde Redhead, et pourtant les meilleurs morceaux de Misery Is a Butterfly (2004) croisent ceux de Sit Down For Dinner avec une curieuse harmonie. Si l’on pouvait avoir des réserves quant à ce dernier et son atmosphère intimiste un peu trop dépouillée, la complexité des arrangements sur scène envoie voler en éclat ces doutes. De la voix d’Amadeo à celle de Kazu, l’expérience dérive à la contemplation, et noie son lot de tourments dans des lignes de synthés obsédantes et des guitares digressives.
Entouré d’immenses tentures kitsch, le trio se plonge souvent dans des tons rosés et cotonneux, et pourtant l’ambiance n’est jamais tout à fait confortable, le chant de Kazu d’une douceur feinte et les percussions de Simone faussement discrètes. Baroque avec Doll Is Mine, planant avec Snowman et d’une sincérité désarmante avec le diptyque Sit Down For Dinner, les trois musicien.nes donnent une démonstration exhaustive au possible de l’étendue de leur répertoire. Faites que les disques divisent, le live rassemblera chacun des fans du groupe et les grésillements de tous horizons sous une même bannière. A l’illustration, le morceau 23, emblème du premier virage dream pop négocié par le groupe en 2007, rendu sur scène plus obtus, moins lisse et autrement plus puissant : la quintessence d’un concert déjà remarquablement riche.
Tous trois ne sont pas très loquaces durant leur set, mais après un retour sur scène vivement réclamé, Kazu prend le temps d’exprimer de chaleureux remerciements. Au terme de l’ultime Kiss Her Kiss Her, elle ne pourra quitter la scène, retenue par la clameur d’un public inlassable, un peu ivre d’une drôle de joie, propre à ce concert plutôt singulier, pas tout à fait rock dans l’esprit, suffisamment onirique pour nous avoir fait perdre pied avec la réalité.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil