Nous sommes passés par tous les états samedi soir au Café de la Danse : du franc optimisme avec les pétillants Ada Oda au sombre désespoir avec la terrible Romy Vager de RVG. Bref, une autre réussite totale du Festival les Femmes d’en Mêlent !
Tiens, même s’il fait très froid à Paris, avec de la neige annoncée pour les heures qui viennent, on est très heureux de faire la queue devant le Café de la Danse, salle éminemment chaleureuse, qui renoue son partenariat avec le joli (et bien nécessaire) festival les Femmes s’en Mêlent après quelques années de rupture (?). Avec les rares et passionnants RVG, et la nouvelle sensation de la scène belge (qui n’en manque pourtant pas, de sensations !), Ada Oda, c’était la garantie d’une soirée réussie !
19h30 : En attendant le double plat de résistance, c’est PIOOG. Et PIOOG, c’est un tout nouveau duo français, constitué de deux artistes qui ne sont pas tout nouveaux, qui ont « de la bouteille », Armelle Pioline et Sébastien Hoog (d’où l’équation Pio+Og !), avec le renfort d’un batteur dont l’image est projetée sur un drap tendu derrière eux qui fait office d’écran. Et ce soir, aux Femmes s’en Mêlent, eh bien ce n’est ni plus ni moins que leur premier concert. Armelle, vêtue d’une combinaison argentée de mauvais goût, chante plutôt bien des chansons à mi-chemin entre variété-yéyé française et rock garage. Sébastien l’accompagne à la guitare et à la basse, mais il faut bien admettre qu’il vaudrait mieux qu’il se dispense de chanter, lui. Avec tout le respect qu’on leur doit, tout ça n’est pas très convaincant, et nous ne parlons pas que de la mise en place, logiquement encore incertaine. Comme ils reprennent le génial Blister in the Sun des Violent Femmes – qu’Armelle nous dit avoir adorés quand elle avait 15 ans -, il est difficile de ne pas avoir envie de tout leur pardonner. Mais quand même, il y a des limites à notre bienveillance…
20h15 : les Belges de Ada Oda, qui nous confirment très vite – et non sans humour – ne pas être Italiens, ont eu une idée improbable : mêler un punk rock très « ligne claire » à de la pure variété italienne ! Il faut préciser que la chanteuse, Victoria Barracato, est la fille de Frédéric François, et a de ce fait des origines siciliennes : on dit ça, on ne dit rien.
Le set commence par une sorte de round d’observation entre les jeunes musiciens et le public, qui ne sait pas trop quoi penser : Victoria rappe plus qu’elle ne chante, la langue italienne nous dépayse gentiment, et de temps en temps, d’excitantes excroissances électriques, des poussées d’énergie incontrôlable naissent au cœur des chansons. La tension monte, monte, jusqu’à l’interprétation fougueuse d’un nouveau titre, Vino Naturale, qui arrache tout sur son passage. A partir de là, le set bascule dans un gros, gros plaisir : le public est ravi, le groupe encore plus, d’autant que ce soir est leur dernier concert d’une série de septante-neuf, leur dernier concert de 2023. On va fêter ça par un déluge d’énergie et d’exubérance dans la seconde partie du set. Victoria monte sur les épaules du bassiste rayonnant, les deux guitaristes descendent jouer dans la fosse, les explosions punks se multiplient, et le guitariste soliste nous ravit à chaque titre par son inventivité et les sons qu’il tire de sa gratte. C’est frais, ça pétille mais ça fulmine quand ça culmine, et ça fait un bien fou : c’est Ada Oda, notre gros coup de cœur – finalement inattendu – de cette soirée.
21h20 : après un changement de matériel d’une rapidité rare, Romy Vager et son RVG débarquent, marquant un virage à 180 degrés dans l’atmosphère de la soirée. On a ri, on a dansé, place maintenant au désespoir, aux déchirements de l’amour impossible, de la passion éperdue et perdue. Nous étions inquiets, ayant appris l’extinction de voix de Romy la veille (interview annulée !), et les premiers titres ne sont pas rassurants, tant la voix de Romy est à la peine : la grande chanson qu’est Midnight Sun, en intro, en fait les frais… Mais peu à peu, la mayonnaise prend, peut-être que nous sortons aussi de la béatitude dans laquelle Ada Oda nous avait plongés, et le trio qui accompagne Romy, le Romy Vager Group (comme il y avait eu un Patti Smith Group, Patti Smith étant une référence évidente…) est tout à fait en place : le tapis des tourments commence à se dérouler, et nous voilà sombrant dans cette noire mélancolie, parfois – souvent même – furieuse que portent les chansons fascinantes de Romy.
Nous imaginons bien que le déclic puisse s’être produit à différents moments pour d’autres spectateurs, tant cette musique est intime, personnelle, mais pour nous, c’est le terrible Squid qui nous a emportés : « Don’t go back in time / It’s not worth it ! » (Ne reviens pas dans le temps, ça n’en vaut pas la peine !) se confirme comme un mantra magnifique à hurler en chœur avec Romy qui se déchire la gorge et l’âme au micro ! Et Romy enchaîne avec Nothing Really Changes et surtout I Used to Love You, une véritable tuerie, émotionnellement. Difficile de ne pas en avoir les larmes aux yeux !
Musicalement, RVG évoque plein de choses, des Smiths, pour le jeu de guitare à la Johnny Marr, au Gun Club (eh oui), pour la transe cathartique du chant de Romy. Si certains se plaignent du « manque d’originalité » d’une musique qui sonne très années 80, nous leur répondrons deux choses : la première est que, au moins, ce n’est pas du post punk ! Et la seconde, c’est qu’il faut faire l’effort de s’immerger dans les textes hantés de Romy Vager pour saisir la force de cette musique.
La fin du concert redescend un peu en puissance, même si Alexandra, réclamé par un fan dans la fosse, reste un grand moment de cruauté masochiste : « Come Monday morning / You may find me dead / You may not find my body / But you might find my head / In a motel closet / or under a motel bed / This is the life that I lead » (Lundi matin, tu me trouveras peut-être morte, tu ne retrouveras peut-être pas mon corps, mais au moins ma tête dans un placard de motel, ou bien sous le lit… c’est la vie que je mène…), on ne s’en lasse pas !
Une heure qui nous a paru trop courte : on aurait bien aimé que, à cette visite presque complète du dernier album, Brain Worms, s’ajoute le tunnel de la mort, le dantesque Photograph (la conclusion de Feral, le disque précédent). Peut-être la prochaine fois, avec une Romy Vager en meilleure forme physique ?
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil