En six épisodes centrés autour d’un personnage précis dans le déroulement d’une enquête sur un violeur récidiviste, la brillante série de France Télévisions réussit le pari d’un hommage aux femmes qui se sont battus pendant 30 ans pour faire valoir leur voix et leurs droits, mais aussi une analyse sans fard de l’évolution de notre société et de la machine judiciaire sur les quatre dernières décennies.
Décidément, ce dernier trimestre 2023 est marqué par la grande qualité des séries françaises actuellement sur les plateformes. Polar Park, D’argent et de sang, Tout va bien… et donc Sambre, du nom de la rivière franco-belge, lieu des viols en série perpétrés par un même homme durant près de 30 ans.
On est pourtant largement habitués aux séries policières de tueurs ou violeurs en série, s’attachant à l’enquête et à sa résolution en avançant lentement vers la découverte du suspect. Ce n’est pas le propos ici, puisque l’on sait dès le premier épisode qui agresse les jeunes femmes au petit matin sur cette route maudite. Ce qui intéresse Jean-Xavier de Lestrade, le créateur de Sambre, et ce qui fait la grande force de cette dernière, c’est d’avancer dans le déroulement de l’affaire en allant fouiller dans tous les aspects qu’elle revêt. A travers des personnages tous différents et pivots principaux de chaque épisode – victime, commissaire, maire, procureur, scientifique au service de la police -, elle prend à bras le corps tous les angles de cette affaire incroyable – angle policier, judiciaire, social, politique, technologique – pour montrer les manques de discernement ou les freins de l’époque pour mener à bien de telles investigations.
En détaillant tout ce qui fut – ou pas d’ailleurs – entrepris pour trouver ce violeur récidiviste depuis des années 80 où la parole des femmes victimes était à peine entendue ou peu considérée, jusqu’à nos jours où la culpabilité de ne pas avoir tout mis en œuvre dès le départ demeure un constat d’échec cuisant. En filigrane aussi, la masculinité toxique, sujet sociétal d’envergure actuellement, reste un terreau évident dans ces épisodes où pas un seul personnage masculin n’est à sauver. La parole féminine, la sororité et la lutte incessante des femmes pour mettre au clair ce sombre faits divers et enfin trouver le coupable durant plus de 30 ans, tous ces thèmes forts demeurent le fil rouge des six épisodes extrêmement documentés, bien pensés et inoubliables.
Il pourra éventuellement être reproché une réalisation factuelle et plate, à la limite du téléfilm. Mais la force de ce style, justement, est de ne pas être un simple prolongement de film avec une mise en scène évidente ou familière d’un réalisateur : on est loin du cinéma, et c’est tant mieux. Sambre privilégie les faits, la description la plus fidèle et ample à tout ce qui fut mis en place ou, au contraire, ce qui est demeuré inabouti…
Par contre, la grande qualité de cette production française, et « enfin ! » oserais-je dire, c’est la qualité de l’interprétation générale. Les acteurs sont tous parfaits – d’Alix Poisson extrêmement émouvante sans que ce soit appuyé, à Olivier Gourmet impérial, en passant par la délicieuse Noémie Lvovsky toujours parfaite, Clémence Poésy, etc… et un homme encore un peu inconnu mais qui crève le petit écran : Jonathan Turnbull incarnant l’agresseur de la Sambre.
Une immense réussite que ce fait divers construit en six actes, comme six manières de traiter le sujet, six moments d’une longue épopée judiciaire faite d’injustice et d’incompréhension, six périodes où l’évolution des mœurs, des rapports homme-femme et la façon de gérer les crimes aura été une douloureuse avancée vers l’équité et la justice.
Jean-François Lahorgue