Après 5 ans d’absence, la Boule Noire a fêté nos retrouvailles avec Great Lake Swimmers, groupe canadien aux compositions magnifiques, mais peut-être un peu trop discret et trop sage pour son propre bien…
Nous sommes peu nombreux à connaître et à apprécier Great Lake Swimmers, groupe discret originaire de l’Ontario et conduit par Tony Dekker, compositeur notable et chanteur à la voix étonnante. Entre indie rock et folk rock, ou entre REM et Neil Young, l’inspiration de ces Canadiens est plus classique qu’il n’est de bon goût de l’être aujourd’hui, mais sans doute pas assez pour recruter parmi les escadrons de nostalgiques indécrottables qui croient fermement que « hier, c’était mieux ». D’ailleurs, le dernier et excellent album de Great Lake Swimmers, Uncertain Country, sorti plus tôt cette année, est passé relativement inaperçu. Du coup, on n’est même pas sûr que la petite Boule Noire soit pleine en une soirée aussi pluvieuse que celle de ce 4 décembre.
20h : Tony a amené dans ses bagages Picastro, une jeune femme de Toronto sur laquelle il ne tarit pas d’éloges. Nous voilà donc sans voix devant un set de 40 minutes d’une artiste chantant atrocement faux des morceaux informes en s’accompagnant sur une guitare qu’elle n’arrivera jamais à accorder, ou pire encore, pianotant sur un clavier avec la dextérité d’un enfant de 2 ans et demi. Si Picastro n’avait pas eu l’air si mal à l’aise pendant ces interminables 30 minutes, on aurait pu croire à un concept d’avant-garde audacieux. A noter que Tony est venu lui-même donner un coup de main en chantant sur 2 chansons (?) de manière inaudible, et également tirer 3 notes de son harmonica. Inutile de tirer sur l’ambulance, qui, en l’occurrence a franchement une allure de corbillard.
21h : Great Lake Swimmers, c’est bien heureusement une tout autre histoire : une heure vingt-cinq minutes de très belles chansons, qui enchantent dès la première écoute pour celles qu’on ne connaîtrait pas, chantées par un homme à la voix d’or – qui évoque régulièrement celle de Michael Stipe, comme sur la chanson Swimming Like Flying tirée du dernier album -, s’appuyant sur un backing band ultra compétent. Tony dégage qui plus est une sympathie immédiate, dans la façon dont il partage avec nous son plaisir d’être là, à jouer à Paris après 5 ans d’absence.
Musicalement, on est donc dans une forme de folk rock classique mâtiné d’indie rock, mais également sensible à toutes sortes d’influences, des plus traditionnellement folkloriques (Your Rocky Spine, où Tony nous demande de frapper dans les mains, Think That You Might Be Wrong, en rappel, qui essaie de transcrire l’esprit de la musique des états du Sud des USA) aux plus électriques (Flight Paths, l’un des sommets indiscutables du dernier album, suave et racé comme du Tom Petty). Et lorsqu’il joue en solo, Tony est capable de dégager une belle émotion, comme sur Moving Pictures Silent Films, le premier titre de son premier album qui a déjà 20 ans (pour lequel il avoue avoir adopté un nom de groupe qu’il avait inventé et lui plaisait alors qu’il était en fait un artiste solo…).
Finale enlevé sur un I Am Part Of A Large Family, hymne pacifiste gentil mais très réussi (« Brothers and sisters are in my arms / I am part of a large family / And that’s enough for me… » – Mes frères et sœurs sont dans mes bras / Je fais partie d’une famille nombreuse / Et ça me suffit…), avant un rappel qu’on aurait quand même aimé plus débridé. Car s’il y avait un petit reproche à apporter à Great Lake Swimmers, ce serait une sorte de sagesse proprette qui cloue la musique au sol, et nous prive de cette transcendance, de cette magie, pourtant clairement à sa portée et qui transformerait un bon concert en un grand concert.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot