Au-delà de sa qualité documentaire, Bâtiment 5, le nouveau film de Ladj Ly, montre certaine limites dans un scénario accumulant les scènes attendues. La mise en scène, elle aussi, est aussi en berne, et ne trouve pas le souffle des Misérables.
Le deuxième volet de la trilogie annoncée par Ladj Ly remonte le temps : après la brûlante actualité des émeutes dans Les Misérables, Bâtiment 5 revient au début des années 2000, dans la même zone géographique pour s’intéresser au destin d’un bâtiment que la ville veut raser pour construire de nouveaux logements pour hâter une gentrification au détriment des résidents.
La qualité documentaire du réalisateur persiste : en terrain connu, il scrute les anonymes, prend le temps de définir la couleur locale lors de la longue descente d’un cercueil dans les escaliers, ou d’un restaurant clandestin installé dans un appartement. L’entraide et la solidarité tissent quelques liens avec le récent Ken Loach, notamment dans l’arrivée d’une famille syrienne et les différentes réactions qu’elle va susciter.
Mais à partir du moment où il s’agit d’écrire une histoire, la mécanique s’enraye, pour atteindre des limites similaires à Athena, où Ladj Ly officiait comme scénariste. La trajectoire du maire, qui dérive vers l’autoritarisme à partir du moment où il arrive au pouvoir, les réunions lourdingues sur la corruption endémique et les injonctions du « Parti » accumulent les séquences attendues et les dialogues poussifs. Même le personnage supposément complexe, passé du quartier aux arcanes du pouvoir, est une carricature, répondant à celle de l’autre camp, jeune homme frustré et pouvant à tout moment basculer dans la violence, écrivant dès les premières minutes l’issue tragique bien inéluctable comme il se doit.
La mise en scène est, elle-même, en berne et ne trouve pas le souffle des Misérables – même si, soyons honnête, le film se prête moins à cette tonalité. Les scènes de tension, comme celle où la police vide la décharge à ciel ouvert, fonctionnent moins, et il ne suffit pas d’un drone ou de prises de vues aériennes pour capturer les enjeux d’une poudrière urbaine. Une scène centrale où les habitants vident le bâtiment par les fenêtres retrouve un temps cette émotion mêlée de rage, mais cède rapidement le pas à des destinées individuelles beaucoup plus convenues. Le montage alterné final entre un social traître déguisé en Père Noël fêtant l’abondance chez les puissants et la victime des injustices en train de hurler sa rage sous la neige achève de décrédibiliser un récit qui n’avait nullement besoin de recourir à de tels ressorts.
Un échange avec l’équipe du film nous apprend par exemple la réelle histoire vécue par le réalisateur et une partie de ses collaborateurs, et la raison pour laquelle le bâtiment est devenu insalubre : la copropriété s’est fait la malle avec la caisse, mettant en défaut de paiement toutes les charges de l’entretien. Un mécanisme finalement bien plus intéressant et révélateur du cercle vicieux des quartiers populaires, et qui aurait pu donner lieu à un récit beaucoup plus parlant que ces lourdeurs mélodramatiques.
Sergent Pepper