Même si le très commercial Let’s Dance témoignait d’une rupture avec le passé « artistique » de Bowie, nul ne pouvait s’attendre à Tonight, qui est probablement le nadir de sa discographie… et il y eut, malheureusement, de la concurrence dans les années qui suivirent…
Bal tragique sous les Tropiques… Après le feu d’artifice de Let’s Dance et la tournée internationale des stades et des groupies avides de la star Bowie… David Jones balance un pétard mouillé, un disque très médiocre, creux et vain. Une gueule de bois mémorable après un festin qui ne le fut pas moins. Le nouveau public charmé par les hits de Let’s Dance ne vit pas l’arnaque, mais les fans de longue date durent se pincer très fort les oreilles pour y croire…
« Houston, on a un problème »… Le major Tom part en vrille pour se crasher à grands coups de cuivres et de marimbas, de solos et de synthés convenus, de batterie balourde. La tour de contrôle a perdu tout contact avec un Bowie totalement largué dans le nadir sidéral de son odyssée discographique. Comment expliquer ce passage à vide manifeste ? Des mauvaises langues persifleront que l’arrêt de la drogue n’a pas été une franche réussite sur le plan artistique… Résultat d’un pacte faustien implacable, Bowie paie-t-il le prix de son succès au sommet ? Il semble désormais cramé en rase campagne, vidé de toute substance, paressant dans une très lucrative zone de confort.
Enregistré au sortir du Serious Moonlight Tour, au cours d’un long séjour de cinq semaines (en mai et juin 1984) dans un studio canadien où il traîne son ennui, Tonight comprend plus de reprises que de chansons originales (Loving The Alien et Blue Jean). Après avoir dégagé au pied levé le jeune ingénieur du son Derek Bramble (à 24 ans, comment tu dis à Bowie de refaire une prise quand la voix est bonne ?), Bowie le remplace par un Hugh Paghdam (« Qui suis-je pour dire à David Bowie que ses chansons – Blue Jean et Tonight – sont nulles ? »), le producteur de The Police et Phil Collins. Bowie ne joue aucun instrument sur l’album et laisse la main aux producteurs, de son propre aveu : « Hugh et Derek ont crée le son à eux deux. C’est bien de ne pas être impliqué dans ce domaine »… De Profundis… Et pour enterrer le tout, une production très premier degré, assommante, dénuée de la moindre finesse. Il est très probable que l’absence de Tony Visconti, fâché depuis 1983 d’avoir été « oublié » en faveur de Niles Rodgers sur l’album Let’s Dance, explique en grande partie la débandade esthétique de Tonight.
Loving The Alien et Dont Look Down (la version remixée est la seule que j’écoute de rares fois en me cachant de mes proches… “mon plaisir honteux”) peuvent encore sauver la mise sur un malentendu, mais que dire du reste, en roue libre vers la sortie de route…? La preuve avec une reprise gentillette d’un standard des années 50, I Keep Forgeting de Chuck Jackson, plombé par un final tropical qui tombe comiquement à plat. Basé sur un riff classique (Eddie Cochran), Blue Jean reste trop lisse, avec quelques marimbas de passage sur des guitares rock très convenues. Un long clip de Julian Temple jouant sur la dualité Docter Jekyll / Mister Hyde propulsa le titre dans les meilleures ventes quand même. Le dérapage se confirme sur Tonight avec la bonne amie Tina Turner, qui venait de reprendre 1984 sur Private Dancer, album d’un come back très réussi… On dirait le cousin Raymond aux claviers pour le repas de famille… Bref, un disque vraiment très dispensable, avec un chanteur grandiloquent pour bal populaire (la reprise de God Only Knows est souvent évoquée comme sa pire prestation enregistrée…), perdu dans des mauvais rock eighties MTV ou dans des sonorités tropicales hasardeuses (Tumble and Twirl, une parodie de publicité pour Tropicana ?)… N’est pas Kid Creole qui veut… On en est là.
Autre ratage sur Neighborhood Threat, titre revenant de 1977 : Bowie évoqua plus tard « un enregistrement désastreux », à côté de la plaque, avec un groupe merveilleux « qui ne convenait pas à la chanson ». Sur le bruyant Dancing With The Big Boys, qui tient plus du concours de klaxons que d’une véritable chanson, Iggy Pop accompagne Bowie, mais on est à des années lumière de la poésie vénéneuse de Nightclubbing ou de What In The World, chansons hantées du château d’Hérouville. L’album permit quand même à l’Iguane, crédité sur plus de la moitié des titres, d’éponger ses dettes, car le disque se vendit bien sur la lancée du tourbillon commercial de l’année précédente. Tonight fut en effet l’une des meilleures ventes de la discographie de Bowie : plus de 3,5 millions d’exemplaires, bien mieux que certains de ses classiques reconnus… C’est plus qu’un peu triste ! On raconte régulièrement qu’aider financièrement son ami Iggy fut la seule motivation de Bowie dans la réalisation de cet album…
Signe de désarroi esthétique, Bowie, désormais suiveur de son époque, adopte un look criard et zébré… quand on ne le voit pas porter un smoking blanc de crooner de croisière pour accompagner Tina Turner sur scène. Certains paparazzi le capturent même avec une moustache somme toute très major britannique de l’armée des Indes de sa gracieuse Majesté… Une triste affaire donc, que résuma alors le magazine Rock and Folk d’une phrase lapidaire à propos de Blue Jean : « Monsieur Bowie s’en fout ». Rolling Stone rajouta un clou sur le cercueil : « Cet album est complètement superflu et David Bowie le sait ». Bref, en passe de rejoindre le club des has been, David Jones, visiblement en panne sèche, prit alors du bon temps dans sa vie privée en délaissant ostensiblement sa musique et ses fans sur le bord de la route… pour un trop long moment…
« Tonight est ce que j’ai fait de pire dans toute ma carrière. Il n’y a plus la moindre inventivité, la moindre flamme. J’ai totalement déserté mes disques à partir de cette époque. » dixit Bowie. CQFD… Entourloupe bien faisandée, Tonight lui coûta son aura d’outsider imprévisible, d’artiste précieux, de créateur original. De petites merveilles (This Is Not America et Absolute Beginners… mais surtout pas la bande originale de Labyrinth… Argh…) rappelèrent heureusement aux fans désemparés que Bowie avait encore le feu et la grâce…
Amaury de Lauzanne
Ah le clip Tonight, j’avais oublié…..Bowie en smoking de crooner de croisière avec sa bonne copine Tina…Souvent chez le Boz, il y a une relation de qualité entre le look et l’album…Mauvaise pioche pour le coup…
Merci !
Je suggère un dossier sur les grands artistes victimes des années 80. Certains, comme David BOWIE, ont survécu, en sont revenus, d’autres non. Mais ces années 80 ont globalement fait beaucoup de mal (artistique, financier,…) à certains. Et c’est intéressant de revenir là dessus.