« Furieuse », de Mathieu Burniat et Geoffroy Monde : futur lauréat d’Angoulême (ou je mange mon chapeau)

Geoffroy Monde et Matthieu Burniat ont accouché d’un monstre : un truc furieux et jouissif qui bombe à deux cent à l’heure sans se poser trente-six mille questions et renverse tout sur son passage. Les coiffeurs vont avoir du taf !

"Furieuse", de Mathieu Burniat et Geoffroy Monde
© 2022 Burniat / Monde / Dargaud

La critique de cet album, en sélection Découvertes pour le festival d’Angoulême (Prix des lycées), pourrait aisément tenir en un seul mot : Wouah !

"Furieuse", de Mathieu Burniat et Geoffroy MondeLes bonnes BD, même les chefs d’œuvre, c’est pas ça qui manque. Mais là, on a affaire à autre chose. Furieuse déboule d’une autre dimension, de partout et nulle part à la fois. Rarement j’ai lu une bande dessinée avec une telle frénésie. Mais je vais essayer de me calmer un peu, reprendre mes esprits et étayer un peu tout ça.

D’abord, il y a ce dessin ultra chouette, tout en finesse, qui flatte l’œil de tous côtés. Par la grâce d’une ligne claire souple et d’une colorisation dynamique, Mathieu Burniat parvient à rendre incroyablement cohérent des éléments pourtant disparates semblant surgir des quatre coins du cosmos, notamment les personnages, tous uniques, dont la juxtaposition donne corps à cet univers d’une richesse sans pareille. Les (rares) scènes de nuit sont tout bonnement incroyables, et laissent une impression de profondeur insondable dans la rétine. On ne fait pas vraiment gaffe en survolant, mais franchement, c’est un trait de génie, dans tous les sens du terme.

L’univers, dont l’originalité provient pour une bonne part du dessin, est excentrique, ne ressemblant à rien de connu. Si les auteurs surfent sur cette bonne vieille légende arthurienne, c’est pour mieux le pervertir. Ils ajoutent dans leur marmite une bonne dose d’humour cool-trash (je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais il n’y a pas d’autre mot), ainsi qu’un brin de baroque saupoudré d’un peu de satanisme, et Merlin n’en est que plus pervers. Les dialogues sont quant à eux très frais, et mis au goût du jour.

Les personnages sont tous très typés, que ce soit Arthur lui-même, en pleine décadence et baignant littéralement dans son caca, le comte de Cumbre (qui a une identité double, mais chuuuuut !) et son petit zizi au bol, le grand taiseux de Claude qui attend son heure, ou tout simplement l’héroïne, une jeune femme pleine de vie et éprise de liberté. Bref ! On a affaire à une galerie de portraits tous plus incroyables les uns que les autres.

"Furieuse", de Mathieu Burniat et Geoffroy Monde
© 2022 Burniat / Monde / Dargaud

Quant au scénario de Geoffroy Monde, et bien ce n’est pas un scénario mais une course effrénée. Ça bombarde, ça sprinte de rebondissement en rebondissement. Qui plus est, ça coupe sans arrêt l’herbe sous le pied. Franchement une très belle mécanique. La fin est à l’avenant, pour le moins inattendue, et si on a affaire à une allégorie du pouvoir, et bien les auteurs poussent le bouchon encore plus loin en achevant cette épopée sur une dualité bien/mal et création/destruction… Même l’épilogue réserve son lot de surprise. En fait, on a le sentiment de pénétrer dans une œuvre à tiroirs aux airs de cadavre exquis, où l’Homme (en l’occurrence la Femme) demeure entièrement libre de prêter le flanc à l’une ou l’autre, ou de tout simplement suivre son propre chemin. Moi, ça me convient parfaitement en tout cas. Sous des dehors potaches, il y a mine de rien quelque chose de très réfléchi dans cette débauche d’énergie.

Enfin, en ce qui concerne la mise en forme, le choix des auteurs s’est porté sur une mise en case de type gaufrier somme toute assez classique, mais qui n’empêche nullement la créativité de déborder de chaque page. Au contraire, c’est précisément ça qui permet au lecteur de poser son cerveau pour se laisser conduire par le bout du nez par la frénésie de l’histoire. Le découpage est alerte, et tient en haleine jusqu’à la dernière case.

Là, je me retrouve un peu couillon à patauger dans mon enthousiasme, ne sachant trop comment conclure. Alors histoire de me défiler, je me contenterai de poser cette question : et si Furieuse était un genre à part entière, sorte de space-cake opéra médiéval ?…

Arnaud Proudhon

Furieuse
Scénario : Geoffroy Monde
Dessin : Mathieu Burniat
Editeur : Dargaud
240 pages – 25,50 €
Parution : 14 octobre 2022

Furieuse – Extrait :

"Furieuse", de Mathieu Burniat et Geoffroy Monde
© 2022 Burniat / Monde / Dargaud