Film de survie plan-plan accumulant les stéréotypes du genre, Soudain Seuls se rattrape (un peu) en nous racontant une histoire de crise de couple paradoxale…
Un couple qui ne s’aime pas sur un bateau pour un périple qui doit se terminer en Patagonie. Une décision de faire un détour imprévu par une île déserte près de la « ligne des icebergs ». Une tempête inattendue, et voici Laura et Ben naufragés, sans grandes chances d’être secourus puisque personne ne sait qu’ils sont là. Soudain Seuls va décrire par le menu (en une heure cinquante minutes, dont certaines paraissent bien longues, il faut le savoir) la manière dont ils vont tenter de survivre dans des conditions extrêmes de froid et d’isolement. Soudain Seuls est adapté d’un ouvrage d’Isabelle Autissier, la navigatrice, dont nous devons avouer n’avoir pas lu les livres, mais il n’est pas certain que nous ayons envie de les lire au vu du film !
En effet, on a l’impression devant Soudain Seuls de feuilleter un catalogue des pires clichés du survival movie tel que nous en avons déjà bien trop vus : tout ce qui peut aller mal ira forcément mal, loi de Murphy oblige, les personnages prendront une suite de mauvaises décisions que nulle personne sensée n’aurait prise à leur place, et en paient le prix. Après, Bidegain – dont on aurait dû se méfier vu son pedigree de scénariste de Jacques Audiard – a la main lourde, entre scène de sexe bestial après massacre sanglant de manchots (on le voyait venir, on le craignait, il l’a fait, et c’est évidemment le moment où le film perd toute sa crédibilité !) et accumulation d’invraisemblances afin de tirer nos « héros égarés sur l’Ile Noire » que même Hergé, pourtant spécialiste du deus ex machina, n’aurait pas osé aligner.
Le problème avec Soudain Seuls, c’est qu’au milieu de l’ennui – horrifié quand même, car les scènes éprouvantes sont nombreuses – qu’il diffuse, il se met à nous parler du seul sujet que le cinéma français populaire sache à peu près traiter, la crise du couple, et que, grâce au charisme d’une Mélanie Thierry impeccable de bout en bout, ça fonctionne : si l’on évacue le dialogue / règlement de comptes vaguement artificiel qui lance le débat, il n’est pas inintéressant de voir ce qui se joue au sein de ce couple dysfonctionnel, qui doit se mettre à exister en tant que tel pour que ses deux membres puissent survivre. Ce qui n’exclut pas, et ce n’est pas anodin, de passer par l’abandon de l’autre… Il est simplement dommage que Bidegain n’ait pas casté un acteur moins routinier que Lellouche, qui se contente de ronronner en faisant du Lellouche face à une actrice qui est d’un tout autre calibre.
Après, si l’on s’est plutôt ennuyé pendant la première heure et quelques du film, il faut reconnaître que la dernière partie se met, contre toute attente, à ressembler à du vrai cinéma : ces longues scènes silencieuses de solitude où il n’y a plus que Mélanie Thierry à l’écran, dans un paysage enfin blanc et glacial, témoignent de ce que le film aurait pu être, en choisissant la radicalité plutôt que les clichés. Et puis il y a cette très belle fin, infiniment douce, qui rappelle que ce couple vit ses dernières minutes avant un retour à la civilisation qui signifiera forcément sa fin. Oui, il y a là, en quelques plans intelligents, une sorte de rédemption qui prouve que Bidegain pourrait bien savoir faire, un jour, un bon film… Avant que l’utilisation racoleuse de Love Will Tear Us Apart de Joy Division sur le générique de fin et la découverte que le film a été tourné non pas en Patagonie, mais en Islande, ne nous ramène à la triste réalité !
Eric Debarnot