Transcription habile en format série TV des codes du cinéma français dans tout son classicisme, Tout va bien fonctionne grâce à ses actrices, ce qui n’est déjà pas si mal.
On sait que le cinéma français – mais c’est vrai de manière générale pour le cinéma européen, beaucoup plus que pour le cinéma US – a toujours eu beaucoup d’appétence pour la satire familiale, pour l’exposition au grand jour de ces névroses dont la famille est féconde, pour la déconstruction des relations parents-enfants, et pour la description de l’évolution de celles-ci sous la pression du changement de plus accéléré de la société. Camille de Castelnau, la show runner de Tout va bien ne fait donc preuve d’aucune originalité ni dans son propos, ni dans les mécanismes narratifs qu’elle utilise, mais, et ce n’est pas si négligeable que ça, utilise à bon escient le temps long et l’ouverture sur une multiplicité de situations et de personnages secondaires que lui offre le format. Le tout sans tomber dans le soap ringard à la TF1.
Tout va bien, titre ironique ou bien utilisation extrême de la méthode Coué, raconte l’impact sur une famille composée de deux sœurs, un frère, leurs parents et leurs enfants, de la maladie grave – une leucémie – de l’un de ces enfants. Le fait que la vie de tous soit désormais plus ou moins centrée sur cette épreuve va évidemment bouleverser la routine de chacun, le confort dans lequel chacun est enfermé, et va transformer profondément – ou pas, en fait – et les croyances et les comportements de tous. Avec un tel sujet, casse-gueule au possible, il n’est pas facile d’éviter le mélodrame bas de gamme, de garder assez de distance pour qu’un peu d’humour continue à équilibrer le récit, et il faut porter au crédit de Camille de Castelnau une vraie réussite scénaristique : hormis dans le septième épisode, Romy et l’océan, qui se vautre un peu trop largement dans le pathos, Tout va bien reste suffisamment caustique pour ne pas nous écœurer.
La participation au projet d’Eric Rochant, avec lequel Camille de Castelnau a collaboré pour le Bureau des Légendes, est évidemment un premier gage de qualité, et les deux épisodes qu’il réalise lui-même font preuve d’une très bonne tenue, équilibrant avec une belle justesse la satire de comportements très « bourgeoisie parisienne » (qui pourront irriter certains téléspectateurs, il faut l’admettre) et la finesse psychologique.
La narration procède par sauts temporels, tout au long de l’évolution de la maladie et de son traitement. Elle nous permet d’accompagner chacun des personnages principaux, qui réagissent tous de manière différente, en fonction de leur situation personnelle et de leur personnalité : de l’optimisme à tout crin, teinté d’insensibilité, de la grand-mère (Nicole Garcia, géniale tellement elle est insupportable tout en restant humaine) qui vend des tombereaux de livres d’auto-aide, aux mécanismes de déni de la mère immature qui fuit la réalité de toutes les manières possibles (Sara Giraudeau, fragile et insaisissable comme elle sait si bien l’être), en passant par l’immersion totale dans les faits, les informations, les analyses, l’abordage rationnel de la situation, qui sera la stratégie de la tante (Virginie Efira, brillante comme toujours), Tout va bien explorera toute une large gamme de réponses, de réactions et de sentiments face à l’horreur incompréhensible qu’est une grave maladie chez un enfant. Ce trio féminin, formidablement interprété, fait tout l’intérêt de la série, qui, grâce au talent de ses actrices, transcende aisément les stéréotypes habituels de son sujet. Dans Tout va bien, les hommes sont certes moins centraux à l’intrigue, mais ont plutôt, en dépit de leurs faiblesses et leurs propres lâchetés, le beau rôle face à des femmes « compliquées »… ce qui préservera le film des habituelles accusations – désormais virulentes, on le sait – de féminisme ou, pire, de « wokisme » !
On pourra regretter que le scénario de la série ne prenne la peine de conclure aucun des fils narratifs, et n’adopte pas une position plus tranchée dans un dernier épisode qui semble accepter assez mollement la coexistence de points de vue pourtant peu conciliables. Et on imaginera que cette fin, relativement suspendue, a été imaginée pour promouvoir la possibilité d’autres saisons. On verra bien, mais on suivra avec plaisir les prochaines aventures de Claire, Marion et Anne Vasseur !
Eric Debarnot