Dans une Italie difficile à dater, Alice Rohrwacher nous embarque dans une odyssée cabossée, signant un nouveau film d’une grande poésie, qui parle de l’osmose entre le corps et esprit.
Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque dans une odyssée cabossée, où le rêve le dispute au réel, exactement sur le même principe que pour Heureux comme Lazzaro. L’image arrondie aux angles épouse les contours d’un réel à l’ancienne, et le retour pour le protagoniste dans une Italie difficile à dater, où l’éternelle classe populaire cohabite avec les vestiges de l’Antiquité qu’elle pille pour survivre.
Souvent inconfortable, l’esthétique de Alice Rohrwacher reproduit du Super 8 amateur, pour un cinéma brut, arraché à un réel qui peut lui-même à tout moment basculer vers l’onirisme et le réalisme magique. Passages en accéléré, processions carnavalesques et communautés étranges dans un palais décati composent ainsi une poésie brute, où le rythme se distend tandis que certaines séquences parviennent à retranscrire les épiphanies vécues par le jeune homme au cœur brisé. Les cavités de la Terre qu’il parvient à sentir entrent ainsi en écho avec le vide de son amour perdu, et tissent un réseau où la recherche du passé trace un chemin incertain. Le regard sur les ruines d’un monde perdu, la statue suspendue, comme un clin d’œil à l’ouverture de la Dolce Vita, les fresques qui s’effacent au contact de l’air amplifient la douleur de l’individu et poursuivent cette thématique obsessionnelle chez Rohrwacher sur l’osmose entre un corps, un esprit et l’espace qu’il habite.
Le récit subit néanmoins quelques développements plus dispensables et convenus, dans tout l’arc consacré aux acheteurs d’antiquité, avec retournements et symboliques poussives sur la machinerie lors de la scène du bateau, la cinéaste semblant aussi peu à l’aise à l’extérieur des territoires connus que sa petite bande. Car dès qu’elle retrouve sa communauté où la superbe matriarche Isabella Rossellini officie, ou qu’elle investit une utopie dans une gare abandonnée, la magie opère à nouveau, jusqu’à un final proprement bouleversant qui fusionne l’homme à la mythologie.
Sergent Pepper