Journal d’une visite à La Havane de deux touristes costariciens, Touristes à La Havane nous offre une perspective passionnante et beaucoup plus objective que de coutume sur la vie quotidienne des Cubains.
Eté 2016 : Ivania et Arturo, un couple de Costariciens, débarquent à la Havane pour y passer des vacances, profiter de la beauté réputée de la capitale cubaine, mais aussi, et peut-être surtout, comprendre comment vivent les Cubains sur cette île coupée du monde par l’embargo US. Hébergés chez l’habitant, ils vont découvrir l’hospitalité de ces gens vivant dans un état que l’on qualifierait de précaire si l’État communiste ne leur assurait pas une sorte de minimum vital… Mais ils vont peu à peu réaliser que, derrière la façade d’un peuple allègre, souriant, se cachent bien des tourments et des secrets.
Se basant sur sa propre expérience d’un séjour touristique à Cuba avec son épouse, le dessinateur costaricien Edo Brenes a construit Touristes à La Havane, un roman graphique ambitieux qui raconte ce voyage, qui illustre tout ce qu’il a appris durant son séjour, autant sur les traditions cubaines (la nourriture, la musique, la fête, le carnaval) que sur leur vie quotidienne dans un pays où ce que nous tenons pour acquis dans la quasi totalité des pays de la planète (à l’exception de la Corée du Nord, sans doute) est ici inconnu : pas de propriété privée, quasiment pas d’accès à Internet, et de manière générale aucune « modernité » qui soit réellement possible, voire autorisée. Au centre du récit, il y a – logiquement – l’interdit absolu, c’est-à-dire l’immigration (forcément) clandestine vers les USA (Yuma, comme ils disent) des plus jeunes qui ne peuvent concevoir une vie sans avenir, sans espoir d’aucune amélioration, d’aucun changement. Bien sûr, l’usage d’une langue commune, en dépit des particularités idiomatiques de l’espagnol cubain, mais surtout la proximité culturelle permettent à la vision du narrateur d’être dénuée de tous les a priori surplombants dont feraient preuve des touristes US ou européens, et garantissent une plus grande objectivité de ce portrait des Havanais.
Brenes, maître incontestable de la ligne claire – lisibilité parfaite du récit, beauté des cadres, justesse des mouvements et des expressions, tout est ici parfait -, complète ce « journal de voyage » que l’on imagine très personnel (on pense à des détails comme l’absence d’intimité de la salle de bains, ou bien la faim qui tenaille régulièrement ces touristes peu habitués aux portions réduites qui font l’alimentation quotidienne des Cubains), par une partie « romanesque » où il suit les « aventures » ordinaires des différentes personnes que nos deux touristes rencontrent : celles bien sûr de la famille qui les héberge, déchirée par la menace que fait peser sur leur bonheur un fils qui veut partir, et cachant aussi divers secrets ; celles aussi d’autres Havanais croisés au cours de leurs déambulation, comme Carlos, personnage de supporter apparent du régime communiste, qui croit pouvoir échapper aux privations imposées au peuple.
Peut-être un peu long (Touristes à La Havane aurait été parfait avec cinquante pages de moins !), ce roman graphique décolle littéralement dans une dernière partie assez inattendue, et émotionnellement éprouvante, qui nous récompense de notre patience.
En refermant Touristes à La Havane, on se dit qu’il est grand temps de découvrir les œuvres précédentes de cet artiste passionnant. Et qu’il faudra se souvenir que, grâce à Edo Brenes, le Costa Rica figure désormais bel et bien sur la carte des « pays de la BD ».
Eric Debarnot