Tous les albums de Bowie : 27. Labyrinth (1986)

Labyrinthe ou comment se prendre le mur… En roue libre depuis quelque temps, David Bowie se paie de nouveau le luxe d’un album très anecdotique. Les fans de la première heure achetèrent le disque sans l’écouter et burent le calice jusqu’à la lie en désespérant de retrouver un jour la magie noire et la grâce lumineuse des années 1970. Ici Bowie n’en finit pas de tourner en rond pour nous perdre encore une fois. Labyrinth ou le mauvais sort…

Labyrinth Image

Alors que Bowie avait traversé la pellicule en 1976 dans son rôle de Thomas Jérôme Newton (The Man Who Fell To Earth), véritable double en miroir – l’étrangeté de l’androgyne extraterrestre tombé à terre et aliéné par la masse – il lui fut alors impossible de réaliser la bande originale du film, tant la cocaïne épuisait ses dernières forces à Los Angeles : « il était cramé » selon Harry Maslin. Néanmoins deux photographies issues du film illustrèrent les pochettes des magnifiques Station to Station et Low, qui constituent une sorte de bande originale par procuration (en particulier le chef d’œuvre du château d’Hérouville…). Un peu plus tard, Bowie enregistrait pour son fiston la narration de Pierre et le Loup avec une distinction très british plutôt plaisante : les fans avaient de quoi collectionner à foison. Il poussa même la chansonnette sur la bande originale du film Gigolo dans lequel il campait un jeune aristocrate perdu dans le Berlin des années 1930 : The Revolutionary Song ne restera pas dans les annales, mais jusqu’alors Bowie gardait la tête haute…

Labyrinth pochetteLa décennie 1980 change la donne, de toute évidence. On est en 1986, et Bowie prête sa voix à la bande originale de films divers et variés : les chansons This Is Not America (pour l’excellent film de John Schlesinger, The Falcon and the Snowman) et Absolute Beginners (le film de Julien Temple où il campe un personnage de businessman sans vergogne) sont de bonne surprises pour les fans sonnés par Tonight (Never Let Me Down n’est pas encore sorti, heureusement…). Mais en 1985, il est venu à Bowie l’idée saugrenue de participer au film Labyrinth, de Jim Henson, dans lequel il joue le rôle de Jareth, sorcier cherchant à troubler l’innocence de Sarah, une belle adolescente paumée dans un dédale de murs, de forêts et d’escaliers en compagnie de gnomes disgracieux et farceurs. Par charité, nous ne commenterons ni le costume ni le maquillage infligés à David, mais on est très loin de l’androgynie électrique de Ziggy Stardust, ou de la classe aristocratique du Thin White Duke. Les plaisantins moquèrent à l’occasion la protubérance de son entrejambe, c’est vous dire à quel point le charisme de Bowie prit cher… Débordant d’énergie, il trouve le temps d’enregistrer des chansons sur la bande originale de ce film destiné à un public enfantin. Ses cinq créations se mélangent aux instrumentaux composés par Trevor Jones. Et c’est loin d’être magique…

Bowie se perd en effet dans un dédale surproduit de grosse batterie et de synthétiseurs sirupeux, accompagnés de chœurs façon Gospel. Certes, il chante bel et bien, donnant de la voix sans bouder son plaisir, mais on a la sinistre impression qu’il s’égare dans le mauvais disque, une potion amère et carabinée. Underground envoie du lourd (quatorze choristes) et frappe fort avec la complicité de Luther Vandross et Albert Collins, mais ça devient vite assourdissant, un brin étouffant. Magic Dance fait mal à entendre : déjà The Laughing Gnome n’avait pas fait rire grand monde en son temps, mais Bowie en remet une couche dans le registre grotesque de la chanson avec gnomes (voix accélérées et tout le bastringue). Et le fan de se souvenir de la poésie noire de All the MadmenBowie échangeait avec des voix d’enfants perdus… et d’essuyer une larme. Sur la composition Chilly Down, il laisse le champ libre à une équipe de joyeux drilles qu’il guida en studio (une démo circule sur la toile…). Quant à Within You, la musique noie la voix éplorée de David dans des effets lourdingues. Seul rescapé de ce naufrage, le titre As The World Falls Down sauve un peu la mise. Pour cette chanson d’amour, Bowie se grima dans un clip à la manière de Buster Keaton – l’un de ses acteurs fétiches – pour une belle jeune fille incarnée par l’actrice Charlotte Valandrey. Son chant, beau et mélancolique, charme un instant avant de disparaître sous les effets d’une musique pompeuse.

Vous avez dit « malédiction » ?

Amaury de Lauzanne

Labyrinth – BO du film composée par Trevor Jones, chansons de David Bowie
Label : EMI
Date de parution : 23 juin 1986