Dernier concert de 2023, une double affiche immanquable réunissant The Psychotic Monks et The Guru Guru, soit ce qui se fait de mieux en France et en Belgique en termes de musique à tête chercheuse. C’était à Massy, à Paul B, hier soir…
On a trop tendance à oublier que, au-delà du périphérique, il y a de nombreuses excellentes petites salles de concert qui offrent une qualité d’expérience souvent supérieure aux salles « intra muros, et, pour notre dernier concert de 2023, nous nous aventurons à Massy, au Paul B. Le Paul B. est un très joli lieu pour la musique – accueil sympathique, salles chaleureuses, acoustique excellente, scène à la bonne hauteur, etc. – malheureusement peu accessible en transports en commun, et situé dans un quartier pas des plus accueillant par une soirée hivernale. Nous sommes là pour la double affiche The Guru Guru / The Psychotic Monks, qui justifie pleinement l’effort de venir… Même si la salle ne sera malheureusement pas pleine, l’ambiance ce soir sera à la fois calme et passionnée, parfaite pour profiter de la musique complexe de deux groupes formellement ambitieux.
20h30 : on commence par les Belges étranges de The Guru Guru, un groupe qui souffle le froid et le chaud (comprenez l’humour et l’émotion) avec une aisance déconcertante. Le chanteur, Tom Adriaenssens, est, comme la dernière fois où on les a vus, en pyjama et en pantoufles, et monte toujours occasionnellement sur une boîte à lumière qui produit de beaux effets quasiment cinématographiques : ajoutez ça à ses grimaces inquiétantes voire plus, et vous obtenez le commentaire de quelqu’un derrière nous qui évoque le nom de Jack Nicholson dans The Shining. On débute par le rituel tranchage de citron et préparation d’un cocktail… (Lemon-aid, Lemon-cello), et on passe aux choses sérieuses avec l’interprétation d’une bonne partie du dernier album, Make (less) Babies, dans un déséquilibre créatif entre classic rock et avant-garde. Délaissant la tradition punk / noise des débuts du groupe, les deux guitaristes de The Guru Guru nous offrent des parties de guitare remarquables, la section rythmique est implacable et Tom grimace et déclame ses textes avec verve.
Il y a le fantastique Saint-Tropez, parfaite illustration du savoir-faire mélodique du groupe, et de son humour souvent à la limite de la gêne, voire du désespoir : « We’re gonna have to sell the house / We’re gonna have to sell the house in Saint-Tropez / ’Cause we’ve got bills to pay up here » (Il va falloir vendre la maison / Il va falloir vendre la maison à Saint-Tropez / Parce qu’on a des factures à payer ici !). Lotta Tension, fabuleux, fait monter d’un cran la… tension, mais disons plutôt la pression, et le public répond présent à la sollicitation. Jusqu’à un Joke’s on you (under over) littéralement tétanisant, où Tom se met à hurler et où l’on constate d’un coup que, non, il ne rigole plus du tout : il a les larmes aux yeux, et c’en est bouleversant. Il doit même aller se calmer sur le côté de la scène pour pouvoir reprendre le concert. Après ce pic brutal d’émotion, le set s’épanouit sur des chansons plus entraînantes, comme le magnifique Honestly (I Don’t Feel Like Dancing), qu’il est impossible de ne pas chanter… Jusqu’à la conclusion baroque – et habituelle – de l’appel téléphonique au management d’un hôtel : « Can I talk to the manager ? It’s about room number nine. I really need to speak to the manager, exactly like we did last time ! » (Puis-je parler au manager ? C’est à propos de la chambre numéro neuf. J’ai vraiment besoin de parler au manager, exactement comme la dernière fois…). 1 heure et 5 minutes étonnantes, emballantes, qui confirment l’originalité absolue et le talent de ces Belges faussement farfelus, et vraiment intelligents : The Guru Guru sont désormais l’un des grands groupes à suivre…
20 minutes pour changer l’intégralité du matériel présent sur scène, pour installer le rideau blanc et les bannières transparentes derrière le groupe, et les Psychotic Monks démarrent leur set à l’heure prévue. Les quatre, visiblement très contents d’être là, attaquent par le fantastique Crash, qui nous offre quelques minutes électro de forte intensité, les plus excitantes du set en fait, et nous fait penser, comme à chaque fois, que les Monks pourraient considérer sérieusement l’électronique comme prochaine étape dans leur évolution ! On poursuit sur un format plus traditionnellement rock avec le méchant Post Post-, qui occasionne même un petit démarrage de pogo dans la salle… Mais c’est une fausse piste, car le set va, à partir de là, s’enfoncer dans la déconstruction, à la limite de l’expérimental, et ce quasiment jusqu’à la fin.
Contre toute attente, les moments les plus forts sont ceux où chaque chanteur – Artie, puis Clément, le batteur, très impressionnant au chant, et enfin Martin pour la longue transe finale… – laisse à son tour sa vulnérabilité exploser sur scène, sous le regard amical des autres membres du groupe. C’est très beau à voir et à entendre, il y a un travail collectif, une attention à l’autre que l’on observe rarement sur scène, une capacité à improviser individuellement sans jamais perdre le sentiment d’être ensemble, qui n’est vraiment pas habituel dans le Rock. Il faut seulement que nous, le public, arrivions à nous débarrasser de nos attentes d’un concert comme les Monks nous en offraient naguère : il faut seulement que nous acceptions de lâcher prise et de nous laisser emporter par les émotions nues.
Pour la dernière partie du set, Martin descend chanter dans la salle, au milieu du public et debout sur le bar, Décors (« What’s on the menu, tonight? », pertinent dans le contexte des fêtes de fin d’année…), avant que le set se conclue sur ce qui nous a semblé une revisite de Every Sight, et un finale longuement martelé et cuivré, avec Paul à la trompette. Alors, dans leur recherche d’une musique toujours plus émotionnelle, les Psychotic Monks, funambules de l’expérimentation, ont-ils trop sacrifié à la poursuite d’une VÉRITÉ supérieure qui se dissimulerait au-delà de la musique ? Ceux de nos amis qui s’affirment déçus par l’évolution du groupe diraient que oui, qu’il est regrettable qu’un set des Monks n’offre plus ces pics d’hystérie à nuls autres pareils. Mais, à voir le sentiment de joie, de pure joie, partagé après le set entre le groupe et son public, il s’agit là d’un pari risqué, mais gagné.
Texte et photos : Eric Debarnot