Qui aurait parié un kopek sur Wonka, sucrerie (forcément) hypercalorique conçue pour les Fêtes de Fin d’Année ? Personne ! Ou tout du moins pas nous, en tous cas… Et pourtant, deux heures plus tard, nous ressortions de la salle de cinéma flottant encore sur un petit nuage de bonheur…
Il faut bien admettre que, vu de la France, le nom de Roald Dahl n’émeut pas grand monde, et que c’est plutôt celui de Tim Burton qui avait attiré le public dans les salles pour voir (l’assez médiocre) Charlie et la Chocolaterie, après avoir manifesté peu d’intérêt pour le bien plus pervers – et donc plus intéressant – Willy Wonka au pays enchanté (1971) avec Gene Wilder. De toute manière, après une succession quasi ininterrompue de flops des films « populaires » hollywoodiens ces derniers mois, on n’avait nulle envie de se farcir un Wonka riche en sucres artificiels et probablement chargé de bons sentiments jusqu’à l’écœurement, en dépit de la présence du golden boy séducteur d’adolescentes qu’est Timothée Chalamet !
Et puis, quand les premiers retours positifs, voire très positifs, des spectateurs sont apparus, et qu’on a commencé à se pencher sérieusement sur la question, on s’est aperçu que Wonka était avant tout un film britannique, mis en scène par Paul King, qui avait surpris tout le monde par la qualité de son Paddington, que son générique, outre le bourreau des cœurs Timothée, comprenait une belle distribution d’acteurs anglais… Et qu’il était avant tout une comédie musicale « classique », avec des chansons composées ni plus ni moins que par notre chouchou Neil Hannon ! Comment pouvions-nous passer à côté d’une telle friandise, aussi dangereuse soit-elle pour notre santé dentaire et notre poids (Paul King a d’ailleurs raconté avoir pris plusieurs kilos pendant le tournage, à cause des chocolats – des vrais ! – préparés spécialement pour le film !).
Prequel de Willy Wonka / Charlie et la Chocolaterie, Wonka raconte la manière dont le jeune chocolatier / magicien tente de s’établir dans une ville européenne (on remarque de nombreux plans de la belle cité d’Oxford), capitale mondiale du chocolat, avec ses Galeries Gourmet réputées. Marqué par la mort de sa mère qui lui a enseigné l’Art du chocolat, mais surtout féru de magie, Wonka va se heurter à un dangereux cartel capitaliste – soutenu par la police et l’église – voyant d’un très mauvais œil l’arrivée d’un rival aussi talentueux. A ses côtés, il pourra compter sur l’aide d’une bande de misfits dickensiens, retenus comme otages par une terrible mégère (Olivia Colman, parfaite comme toujours, qui semble s’amuser follement) et son amant à l’hygiène corporelle douteuse, mais aussi du plus petit des Oompa-Loompa, Lofty (un Hugh Grant qu’on a l’immense plaisir de retrouver au sommet – si l’on ose dire – de sa forme !).
Mais au-delà d’une interprétation universellement scintillante – tout le monde a l’écran a l’air de passer le meilleur moment de son existence ! -, le scénario de Wonka est une petite merveille d’inventivité, enchaînant les idées explosives, multipliant les surprises gourmandes, alignant les gags hilarants, au milieu d’un décor parfait, animé par d’excellents effets spéciaux. Forcément feelgood, mais pas si « sucré » que ça, puisque l’on est dans un univers très dickensien, incontestablement, où les pauvres se doivent de rester à leur place (prononcer seulement le mot « pauvre » fait vomir l’un des affreux chocolatiers du cartel ! Fou rire garanti !), Wonka ne ménage pas ses coups quant il s’agit de ridiculiser les mécanismes d’exploitation du capitalisme contemporain : on crée la demande en limitant artificiellement l’offre, on dilue le chocolat avec de l’eau tout en augmentant les prix, on utilise une partie des énormes profits réalisés pour faire du lobbying et graisser les pattes de ceux qui peuvent bloquer la concurrence, etc.
Et le plus beau, c’est évidemment (même si cela fera sans doute fuir ceux qui ne considèrent pas Chantons sous la pluie ou les Demoiselles de Rochefort comme faisant partie des chefs d’œuvre absolus de l’histoire du cinéma, et on ne mentionnera même pas le formidable La La Land…) son format de comédie musicale qui confère au film une inépuisable énergie, qui est une source de joie encore plus addictive que le chocolat. Si toutes les mélodies de Hannon ne sont pas du même niveau, soulignons l’immense réussite qu’est la chanson des prisonniers dans la blanchisserie dans les sous-sols de l’hôtel !
Bien entendu, comme rien n’est parfait, on regrettera que le film soit dépourvu de cette noirceur caractéristique des meilleurs œuvres de Roald Dahl : un peu de cruauté aurait certainement rehaussé le goût de ce chocolat-là. Et Chalamet ? Il est vrai qu’on prend un peu de temps à admettre qu’il peut être Willy Wonka (le souvenir de Gene Wilder en est probablement la cause), mais il finit par nous convaincre, et on appréciera même les efforts qu’il fait pour chanter lui-même dans le film !
Eric Debarnot