Avec Menus-Plaisirs – Les Troisgros, Frederick Wiseman pose sa caméra du côté de la haute cuisine française pour une proposition de cinéma au goût pas déplaisant mais restant un peu sur l’estomac.
Frederick Wiseman a fait se réputation de documentariste à travers sa capacité à donner à voir des organisations, des institutions en action. Hôpital pour aliénés criminels dans son inaugural Titicut Follies. Les classes du 16ème Bataillon américain en 1970 dans le Kentucky, pendant la guerre du Viêt Nam, avec un Basic Training qui servit à Kubrick durant la phase préparatoire de Full Metal Jacket. Avec, à l’instar de Depardon, Wiseman, c’est une méthode, un dispositif très bien décrits ici. Avec Menus-Plaisirs – Les Troisgros, il se penche cette fois sur la famille Troisgros, gérante de trois restaurants dont l’un d’eux est triple étoilé au Guide Michelin depuis 1968.
Sous la caméra de Wiseman, l’entreprise Troisgros a les airs d’une machine de guerre digne du Real Madrid. Une fusée dans laquelle chacun a son rôle précis à chaque étage, chacun participant de l’exigence de précision et de perfection de l’organisation. Chacun ayant son rôle précis afin d’éviter le grain de sable le jour J. Allergies et habitudes alimentaires des clients sont ainsi prises en compte en amont de chaque repas servi. Un tableau offrant en filigrane la possibilité d’embrasser questions sociétales, questions environnementales et questions agricoles. Troisgros incarnerait en creux une fidélité à des savoir faire français traditionnels combinée à une capacité à s’adapter aux desideratas d’une clientèle étrangère fortunée. Michel Troisgros fut d’ailleurs un des premiers à introduire une influence japonaise dans la haute cuisine française tandis que la Maison s’adapte ici en partie à la vogue du Street Food.
Sauf qu’à mi-parcours de ces 4 heures il y a le sentiment que le film a quasiment tout raconté. Il manque en fait dans cette revue exhaustive d’une mécanique bien huilée ce qui est excitant à voir au cinéma : le grain de sable qui la perturbe et comment elle y réagit. D’autres organisations scrutées par Wiseman offraient une meilleure combinaison de recherche d’hypermaîtrise et d’éléments aléatoires. Ce n’est que vers la fin, à cause d’une saveur ne correspondant pas au souhait du chef, que l’on peut enfin ressentir l’adrénaline du travail en cuisine, la nécessité de combiner la perfection et l’efficacité de service.
Une proposition de cinéma à la lisière de la promotion touristique… tout en la dépassant en partie. Sauf que, puisque la fin d’année approche, le film a quelque chose d’un gâteau cuisiné avec soin mais un peu trop copieux.
Ordell Robbie