Film radical et pas tendre avec ses spectateurs, les Colons commence comme un western en Terre de Feu, parsemé d’explosions de violence brutale, avant de bifurquer vers une réflexion consternée sur la manière dont se sont construites les nations américaines.
On a si peu vu la Patagonie, la Terre de Feu au cinéma que, même si les Colons n’était pas le film passionnant qu’il est, on ne pourrait que recommander à tous ceux que notre planète intéresse d’aller le voir, pour déambuler à cheval pendant une heure et demi dans les plaines sombres de cette région « du bout du monde », surplombée par les neiges éternelles de la Cordillère des Andes.
On est en 1901, et une bonne partie de la Patagonie – du côté chilien comme du côté argentin, a été donnée en gérance par le Président chilien à un seul homme, José Menéndez. Et le problème de Menéndez, c’est de se débarrasser des Indiens qui « infestent ses terres ». Pour cela, il a recruté un Écossais qui se fait passer pour un lieutenant de l’armée britannique, MacLennan, un homme aux méthodes pour le moins radicales. Et voilà MacLennan s’enfonçant dans l’inconnu pour explorer les terres « indiennes », accompagné seulement d’un métis tireur d’élite, Segundo, et d’un cowboy yankee spécialiste de la solution du problème comanche…
Le spectateur sera d’emblée surpris par l’usage de la langue anglaise, et par ces personnages britanniques ou américains qui semblent porter avec eux le mal absolu qui va fondre sur les autochtones. Plutôt que de considérer que les Chiliens se défaussent de leurs responsabilité dans le génocide local sur les modèles anglo-saxons, considérons – même si nous ne savons pas le degré de de véracité historique des faits contés par les Colons – que relier le mépris pour les « indigènes » des grands propriétaires sud-américains aux exemples du colonialisme britannique et du massacre des Indiens en Amérique du Nord n’est pas non plus une absurdité.
La première heure des Colons est un trip saisissant, alternant plans magnifiques de rudesse sur la nature sauvage et gros plans sur des visages humains exprimant la plupart du temps de la haine, de la peur, ou de la stupidité. Les irruptions radicales de violence qui transpercent le film, peu nombreuses mais impressionnantes, nous amènent à une conclusion de cette première partie, « au bout du monde » qui ne craint pas (et certains le lui reprocheront) de se terminer sur une dernière scène à la symbolique excessive.
Mais Felipe Gálvez Haberle rachète cette maladresse par une seconde partie, plus courte, à la fois politique et didactique, qui précise le propos réel du film : alors que le Chili – comme les Etats-Unis le firent un peu plus tôt – tente de nettoyer la violence primitive qui lui a donné naissance pour adopter des « principes civilisés », cette transition vers la modernité, qui ne saurait plus tolérer des monstres comme ceux que nous avons vus à l’œuvre, se fait une fois encore en passant par pertes et profits les populations autochtones. Que l’on immortalisera sur la pellicule d’un film de propagande, où leur seul acte de résistance sera de refuser de prendre le thé à la manière de leurs bourreaux.
Cette conclusion, absolument magnifique, non seulement rattrape les quelques excès ayant précédé, mais pose clairement les termes de ce qu’il serait « nécessaire » de faire pour que puisse naître une nation.
Eric Debarnot