Tous les albums de Bowie : 28. Never Let Me Down (1987)

Vous pensiez avoir subi le pire avec Tonight ? Il vous faut de toute urgence (ré-)écouter Never Let Me Down, qui n’est pas meilleur. En 1987, Bowie fait rapper Mickey Rourke et recrute Peter Frampton en lieu et place de Mick Ronson. Le craquage de slibard est total et la bouse est copieuse. Gare aux éclaboussures.

1986 fut une grosse année pour Bowie, entre sa participation au Labyrinth de Jim Henson et ses retrouvailles avec Iggy Pop autour de Blah-Blah-Blah, le Let’s Dance de l’Iguane (qui a moins vieilli que le blockbuster de 1983, par ailleurs). En fin d’année, il revient aux Mountain Studios de Montreux pour plancher sur un nouvel album. Ses lieutenants sont le multi-instrumentiste Erdal Kizilçay et le producteur David Richards, qui avait jadis prêté main-forte aux mixages finaux de Heroes. Alomar est comme toujours de la partie et le bassiste Carmine Rojas rempile pour la troisième fois. À la guitare solo, Bowie convie Peter Frampton, ancien condisciple de ses années de lycée, depuis passé par The Herd et Humble Pie avant la carrière solo que l’on sait.

D’entrée de jeu, on sent que ça va piquer sévère. Même si son sujet (les sans-abris californiens) ne prête guère à la blagounette, Day-In Day-Out est risible, sans doute le plus mauvais titre d’ouverture jamais entendu sur un projet de Bowie, qui a pourtant à son actif quelques introductions légendaires (Changes, Station to Station, Five Years ou même Modern Love). Une rengaine éculée, bloquée en surplace, surgonflée par des synthés vulgaires et des riffs préfabriquées. La batterie n’a aucune finesse, les chœurs sont stupides et même le chant de Bowie semble avoir perdu tout son charme. Tubesque à défaut d’être subtil, Time Will Crawl déboule en seconde position pour relever temporairement le niveau. Peter Frampton est absent des guitares et la composition fait l’effort de ménager un peu d’espace aux mélodies. Ce regain de substance a ceci de fâcheux qu’il ne sera jamais renouvelé. Savourez donc ce single, car tout le reste sera moins agréable.

Première preuve avec Beat Of Your Drum, platée de heavy pop rock lourdingue où Bowie, pourtant en voix, se borne à incarner sa propre caricature post-Let’s Dance. Une petite moue suave en chantant dans les graves sur les couplets, un refrain éructé et hop ! C’est torché. Ça vous ennuie ? La chanson-titre est pire encore. Une batterie idiote, des guitares laides, un harmonica posé comme un poil dans une soupière et des percussions immédiatement ringardes, le tout enrobé d’une reverb qui sent fort le tupperware. Et que dire du phrasé de Bowie, qui minaude affreusement et va jusqu’à siffloter sur les mesures finales ? Zeroes est particulièrement bien nommée. Gavée de néant, totalement aux antipodes des années berlinoises, la composition est un patchwork d’éléments qui ne s’accordent jamais. Peter Frampton est aussi pénible à la cithare qu’à la guitare, la section rythmique avance en mort cérébrale et les chœurs semblent avoir pour mission de rendre les mélodies aussi exaspérantes que possible. Glass Spider est le genre de truc que même la cocaïne aurait rendu difficilement excusable. Une monstruosité évadée d’un vivarium de laboratoire, nourrie de déchets toxiques et assaisonnée à l’urine de zombie. Et pas au sens positif comme sur Diamond Dogs ou Outside. Bowie braille des paroles ineptes sur un rythme bourrin, les chœurs sont ridicules et rien n’empêche Frampton de séguer sa six-cordes aux moments les plus inopportuns (c’est-à-dire tout le temps).

Shining Star (Makin’ My Love) est l’une des pires chansons enregistrées par Bowie, qui annone et bêle avec une ferveur parfaitement gênante. Le mixage est une boucherie sans âme et la musique tourne en rond sans proposer la moindre idée enthousiasmante. La batterie surmontée de claps synthétiques est une torture dès le premier refrain, pour un ensemble qui dépasse les cinq minutes… Cerise de crotte sur un gâteau déjà calorique, Mickey Rourke est invité pour un rap. Non, ça n’est pas une blague. New York’s In Love parvient à proposer un texte encore plus con que son titre, avec une interprétation vocale à la hauteur du défi. On pense avoir touché le point de non-retour du cabotinage mais ‘87 And Cry en remet une couche, dans un registre hard rock FM qui roule des mécaniques sans jamais impressionner. Imaginez le pire de Tonight avec triple dose de gros riffs écervelés et de soli torturés à la whammy bar. Too Dizzy sonne comme Huey Lewis en pleine descente d’organes, à tel point que Bowie décidera de l’exclure des rééditions de l’album, confiant être extrêmement embarrassé par cette pitrerie. Miracle, l’écoute se termine sur une chanson digne de ce nom avec une reprise presque décente du Bang Bang d’Iggy. Le maniérisme de Bowie, qui mime ouvertement son pote, y est plus ludique que sur le reste de l’album, même si l’originale de l’ex-Stooge demeure largement supérieure à la version en présence, amoindrie par le kitsch des guitares et des chœurs.

Quel est finalement le plus gros problème de Never Let Me Down ? Est-ce ce son clinquant, outrancier et dégoulinant, que seules les années quatre-vingts pouvaient cautionner avec un tel premier degré ? Est-ce la caricature d’un Bowie qui avouera s’être complètement désintéressé de cet album durant sa gestation, refilant les clés du camion à ses collaborateurs sans modérer leurs idées ? Est-ce l’omniprésence de Frampton, qui usine ses soli avec un mauvais goût décomplexé ? Est-ce le message du titre de l’album, dédicace touchante à la fidèle Coco Schwab, mais que l’écoute du bousin fait sonner comme une promesse instantanément trahie ?

Quelle qu’en soit la raison, Bowie n’a jamais autant laissé tomber ses fans que sur Never Let Me Down, dont les excès tranchent pourtant avec son prédécesseur. Là où Tonight faisait office de sous-Let’s Dance sans saveur, Never Let Me Down est outré, forcé et criard dans tous les sens du terme. Le son d’un Bowie prêt à tenter tout et n’importe quoi pour exister en tant que pop star. Mieux vaut en rire, car l’album est effectivement grotesque. Paradoxalement, ce sandwich de plastique fumant marquera le début de la fin de la déconne pour Bowie, écœuré par son aura de superstar et bien décidé à taper du pied pour s’éloigner du fond. Lucide sur ses propres errements, il évoquera ses deux albums post-Let’s Dance comme sa « période Phil Collins ». Sur Tonight, on acquiesce tristement. Sur Never Let Me Down, on a un peu de peine pour le batteur de Genesis mais, au moins, on rigole fort.

Mattias Frances

David Bowie – Never Let Me Down
Label original : EMI
Date de sortie originale : 21 avril 1987

4 thoughts on “Tous les albums de Bowie : 28. Never Let Me Down (1987)

  1. Excellente critique. Une balle entre les deux yeux. Bowie n’en finit pas de sombrer en mode Has Been. Time Will Crawl sauve la mise en effet mais on est clairement dans le collector de la daube. Les fans de Bowie ont rasé les murs à l’époque….Parlophone tenta l’acharnement thérapeutique en trafiquant l’album – en gardant la voix et en rejouant des pistes – pour la parution du coffret, mais c’est franchement mauvais.

    Un disque dont la production très datée enrobe quelques chansons plutôt médiocres. Bowie a perdu le style de ses grandes années. Plus tard, il évoqua ses « années Phil Collins » et comment trouver le moindre charme au bidesque Too Dizzy tellement creux qu’il disparut des rééditions. Rock FM lourdingue sans panache ni poésie. Bref, passez votre chemin. Laissez tomber en fait.

    1. Moi, à l’époque, j’ai complètement laissé tomber, en effet. Ceci dit, mon intérêt a été passagèrement réveillé par Outside et Heathen, avant de sombrer à ouveau. Jusqu’à Blackstar, évidemment, ultime chef d’oeuvre qui nous fera pardonner des décennies peu glorieuses. Mais tout ça est une autre histoire, que nous allons continuer à raconter sur Benzine dans les semaines et les mois qui viennent, non sans un certain masochisme (mais on est exhaustifs ou on ne l’est pas !).

    2. @Charlie
      Les défenseurs de l’album disent généralement que « Tonight est un produit formaté et fadasse, là où NLMD tente des trucs quitte à se vautrer ». Observation correcte, mais il serait vain de comparer un électrocardiogramme plat à des dents de scie dont les creux sont abyssaux. Tonight et Never Let Me Down, c’est un peu Dupond et Dupont, à mon humble avis de fan pourtant pas toujours objectif. La preuve que l’on peut très bien se manger le bitume et le mériter, malheureusement.

      @Eric Debarnot
      Je confesse que j’aime un peu tout dans les années 90, même si Outside me semble très au-dessus du lot et Hours très en-dessous. Je tiens Black Tie White Noise et Earthling pour être de bonne facture en dépit de leurs esthétiques respectives, qui sont rapidement devenues désuètes. Après, c’est vrai que le doublon post-Let’s Dance pose la barre tellement bas que l’on en vient à se satisfaire de trucs un peu inconsistants. Mais c’est effectivement une histoire pour les prochaines semaines, puisque notre prochain chapitre est Tin Machine, justement.

  2. « Tonight est ce que j’ai fait de pire dans toute ma carrière. Il n’y a plus la moindre inventivité, la moindre flamme. J’ai totalement déserté mes disques à partir de cette époque. Ça ne m’intéressait plus, j’ai laissé les autres les faire à ma place. Pour Never Let Me Down, j’avais pourtant écrit de bonnes chansons. Mais je les ai totalement négligées au moment de l’enregistrement, j’ai laissé passer des arrangements vraiment trop légers. J’ai beaucoup trop délégué, je ne me suis pas assez impliqué dans mes albums. Je n’aurais rien dû enregistrer entre Scary Monsters et Black Tie White Noise. Pendant toutes ces années, j’ai été totalement indifférent à ce qui m’arrivait. Il y avait des choses plus importantes dans ma vie que la musique, je l’ai délaissée. C’est dur à admettre, mais il faut être réaliste : depuis dix ans, je n’ai pas été à la hauteur. »

    Extraits du formidable entretien avec Jean-Daniel Beauvallet, à Londres en juin 1993, pour Les Inrockuptibles.

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