10 films seulement à choisir pour représenter une année 2023 où, durant la grève à Hollywood qui a partiellement refermé le robinet à blockbusters, la créativité mondiale a continué à exploser, où les œuvres passionnantes se sont multipliées ? Mission : Impossible ! Nous préférons donc parler ici de nos coups de cœur cinéphiliques individuels et collectifs (pour certains). Comme l’année dernière, nous y joignons le Top 10 de nos lecteurs.
S’il y a une excellente nouvelle pour tous les cinéphiles en 2023, c’est la chute brutale d’intérêt du public mondial pour les épouvantables films de super-héros qui ont tellement dégradé au cours de la dernière décennie la notion même de cinéma populaire. Le gros coup réalisé l’été dernier par deux blockbusters bien plus « honorables », Barbie et Oppenheimer, en dépit de leurs limites évidentes, a également rassuré quant à un regain de curiosité du grand public pour des sujets et des formes plus originales. Mais, de toute manière, ce qui compte vraiment, c’est la remarquable vitalité retrouvée (a-t-elle jamais été perdue ?) d’un cinéma d’auteur international qui continue à nous offrir, quasiment chaque semaine, des films passionnants. Au point qu’il est en effet difficile cette année de réconcilier les avis de tout le monde, tant chacun a pu trouver des films à son goût, qu’ils viennent d’Asie (encore et toujours la région du monde où le cinéma est le plus novateur, le plus « jeune »), d’Europe ou des Amériques (avec pour ces deux continents, une réapparition de vieux « auteurs » du siècle dernier, comme Wenders, Scorsese, Kaurismäki et Spielberg, dont on n’espérait plus de films au niveau de ceux qu’ils nous ont offerts cette année…).
En 2024, il faudra néanmoins faire attention : avec la fin de la dure et longue grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood, on risque bien d’assister à un déferlement de blockbusters US laissant peu de place sur les écrans à du « vrai » cinéma. Mais ça, c’est pour demain…
Les 10 films de la rédaction de Benzine (classés par ordre alphabétique) :
1. Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese)
Killers of the Flower Moon, pourrait bien être le dernier Scorsese, mais c’est heureusement l’un de ses tous meilleurs films, grâce à une forme apaisée, et une intelligence cinématographique éblouissante. Et, au-delà de la modernité radicale de son film, Scorsese nous montre une fois encore – comme dans ses films sur la mafia – que c’est dans l’intimité du couple, de la famille, que naissent les pires trahisons, celles qui défont un pays, une société, une civilisation. [Critique complète]
2. Anatomie d’une chute (Justine Triet)
Pour Anatomie d’une Chute, son quatrième long-métrage, Palme d’Or à Cannes et succès commercial autant que critique, Justine Triet a choisi le film de procès pour nous interroger sur l’égalité au sein du couple, en évitant tous les pièges, tous les clichés attendus du genre. Un film parfaitement maîtrisé, écrit, dirigé, interprété, que l’on peut également regarder comme un exercice de méta-cinéma… [Critique complète]
3. Trenque Lauquen (Laura Citarella)
Si le point d’arrivée de Trenque Lauquen (distribué en deux parties de deux heures chacune) est très vite visible, le film conserve cependant l’art de jouer avec la narration des meilleures productions du collectif argentin El Pampero Cine, qui s’est donné pour objectif de produire du cinéma à budget réduit hors des voies conventionnelles de financement. Rappelant (et citant) l’Avventura et Sueurs Froides, Trenque Lauquen ne laisse jamais son côté théorique saboter sa dimension ludique : les routes imprévues que lui fait prendre Laura Citarella font passer les coutures du récit de femmes trouvant leur propre voie en observant d’autres femmes émancipées. [Critique complète]
4. Perfect Days (Wim Wenders)
On retrouve l’immense cinéaste que fut Wim Wenders avec ce Perfect Days, où, dans un format 1.33 et avec une caméra très mobile, il filme avec poésie le quotidien d’un agent chargé de la propreté des toilettes publiques à Tokyo. Et c’est tout sauf ennuyeux, car, comme il savait déjà nous le montrer dans ses premiers films, les mille et un détails d’une vie quotidienne ordinaire constituent un réservoir sans fond de micro-fictions et d’émotions. La musique (Lou Reed, Patti Smith, The Animals, The Kinks…) participe pleinement à la réussite du film, ainsi que l’interprétation solaire de Kōji Yakusho, prix d’Interprétation Masculine au Festival de Cannes 2023. [Critique complète]
5. Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki)
Quintessence du style Kaurismäki, les Feuilles mortes est une merveille qui mettra de la joie dans le cœur de tous ses spectateurs : sa durée (1h22), ses thématiques sociales, ses superbes couleurs, sa tonalité, tout synthétise l’univers d’un cinéaste qui n’a jamais dévié de sa voie, et tente de concilier un profond pessimisme sur l’état du monde avec un humour à froid et la construction d’une trajectoire modeste qui pourrait ménager le salut des cœurs sensibles. [Critique complète]
6. Past Lives (Celine Song)
In extremis, dans les toutes dernières semaines de l’année, est sorti l’un des films les plus émouvants et les plus intelligents de 2023. Il ne figure donc pas dans les Top 10 de tous les impatients, mais figure bel et bien dans celui de Benzine ! Et c’est la mise en scène de la débutante Celine Song qui fait de Past Lives une réussite : par l’intelligence avec laquelle elle place ses personnages dans la ville (Séoul ou New York), par la fluidité de leurs mouvements d’une pièce à l’autre ou d’une rue à l’autre, par la juste distance que la caméra adopte pour capturer des émotions ténues sans les froisser, elle fait de son film une expérience sensorielle et émotionnelle quasiment parfaite pour son spectateur. [Critique complète]
7. The Fabelmans (Steven Spielberg)
Si le débat a fait rage au sein de la rédaction de Benzine pour savoir si The Fabelmans appartenait ou non aux réussites majeure d’une filmographie comportant au moins une dizaine de chefs d’œuvre / classiques, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est précieux pour ce qu’il raconte des rapports entre l’intime et une vocation de cinéaste. La bonne, l’excellente surprise, même si cela a valu au film pas mal de critiques négatives, c’est que The Fabelmans s’est avéré une œuvre hautement théorique (qui n’a intéressé donc a priori que les vrais passionnés de cinéma), d’une relative sobriété, frustrant ceux qui s’attendait à voir Spielberg déployer les fastes habituels de sa mise en scène et son sens bien connu du spectacle. The Fabelmans, c’est deux heures et demie d’intelligence pure en action, c’est-à-dire un plaisir rare en 2023. [Critique complète]
8. Babylon (Damien Chazelle)
On nous a vendu Babylon, le dernier Damien Chazelle, sur la base de sa première partie, celle qui raconte, dans un tourbillon d’énergie galvanisante, puis épuisante, la folie des débuts du cinéma, à l’époque du muet : une époque où tout était possible, et où Hollywood se construisait dans la déraison, les excès et le scandale… Même si sa seconde partie est moins convaincante, Babylon nous offre un lot exceptionnel de scènes époustouflantes, de mise en scène exemplaire, et de grands moments d’interprétation… Et confirme que Chazelle, pour peu qu’il contrôle un peu mieux ses ambitions, est un bel auteur. [Critique complète]
9. Le règne animal (Thomas Cailley)
Thomas Cailley signe avec le règne animal une belle fable fantastique autour d’un retour soudain (et mystérieux) à la Nature, à notre part animale. Ainsi qu’une réflexion sur nos sociétés incapables d’envisager une réinvention de ses rapports au vivant et aux futures générations… Et du coup, affiche une sacrée ambition pour une production française : on sait la France avare en films de genre audacieux ET réussis, si tant est que l’on puisse ranger Le règne animal, multiple et comme insaisissable, dans cette catégorie-là ! [Critique complète]
10. Aftersun (Charlotte Wells)
Remarqué et primé en festival, nominé aux Oscars pour son acteur principal, Aftersun est un premier film réussissant à faire partager le souvenir d’un être cher. Plus le film avance, plus l’émotion monte, jusqu’à une fin magnifique, bouleversante sans que Charlotte Wells n’ait recours à aucun mécanisme classique de mélodrame ou de thriller. Le mystère reste entier, mais le plus beau, c’est qu’il n’y a pas forcément de mystère, si ce n’est celui de la richesse de l’amour, et de la douleur du temps qui passe. [Critique complète]
Les choix de nos lecteurs :
Nos lecteurs cinéphiles continuent à nous ravir ! Comme l’année dernière, ils sont alignés avec nous sur pas mal de nos choix, mais nous challengent aussi en élisant d’autres films au Palmarès de 2023 ! Et leur adhésion à la frange la plus exigeante et contemporaine du cinéma français – cinéma de genre (le règne animal), cinéma d’animation (Mars Express), cinéma d’auteur « hors système » (Yannick) – montre un sentiment croissant que le jeune cinéma d’ici a tout à gagner de s’affranchir d’une tradition nationale de comédies et de films confortablement « psychologiques » désormais bien usée !
1. Anatomie d’une chute (Justine Triet)
2. Le règne animal (Thomas Cailley)
3. The Fabelmans (Steven Spielberg)
4. Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese)
5. Babylon (Damien Chazelle)
6. Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki)
7. Les herbes sèches (NB Ceylan) [Critique complète]
8. Yannick (Quentin Dupieux) [Critique complète]
9. Mars Express (Jérémy Périn) [Critique complète]
10. Oppenheimer (Christopher Nolan) [Critique complète]
Les choix de nos rédacteurs :
Par rapport à l’année dernière, il a été beaucoup plus facile de trouver un consensus au sein de l’équipe de Benzine, sans doute parce que la présence inhabituelle sur nos écrans d’auteurs historiquement importants facilite les choix en 2023. Par contre, rassurons-nous, il n’y a pas eu que Scorsese, Spielberg ou Wenders et Kaurismäki qui ont fait des étincelles en 2023, et nos listes sont pleines de films audacieux venus de toutes les contrées du monde, réalisées par de jeunes auteurs ambitieux.
Ordell Robbie
1. Trenque Lauquen (Laura Citarella)
2. L’Arbre aux papillons d’or (Pham Thien An) [Critique complète]
3. Marx peut attendre (Marco Bellocchio)
4. Viduthalai – Partie 1 (Vetrimaaran)
5. The Fabelmans (Steven Spielberg)
6. Dernière nuit à Milan (Andrea Di Stefano) [Critique complète]
7. Spider-Man: Across the Spider-Verse (Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson) [Critique complète]
8. Perfect Days (Wim Wenders)
9. Le Procès Goldman (Cédric Kahn) [Critique complète]
10. La Romancière, le film et le heureux hasard (Hong Sang-Soo) [Critique complète]
Eric Debarnot
1. Perfect Days (Wim Wenders)
2. Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese)
3. La montagne (Thomas Salvador) [Critique complète]
4. Past Lives (Celine Song)
5. Sur l’Adamant (Nicolas Philibert) [Critique complète]
6. The Fabelmans (Steven Spielberg)
7. Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki)
8. Le retour des hirondelles (Li Ruijun) [Critique complète]
9. Mars Express (Jérémie Périn)
10. Aftersun (Charlotte Wells)
Benoît Richard
1. Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese)
2. Babylon (Damien Chazelle)
3. Anatomie d’une chute (Justine Triet)
4. Burning Days (Emin Alper)
5. Past Lives – Nos vies d’avant (Celine Song)
6. Perfect Days (Wim Wenders)
7. Winter Break (Alexander Payne) [Critique complète]
8. Love Life (Kōji Fukada) [Critique complète]
9. Le bleu du caftan (Maryam Touzani) [Critique complète]
10. Dernière nuit à Milan (Andrea Di Stefano)
Mathias Frances
1. Mad Dog (Phil Tipett) [Critique complète]
2. Lynch / Oz (Alexandre O. Philippe)
3. Anatomie d’une chute (Justine Triet)
4. Le règne animal (Thomas Cailley)
5. Nimona (Nick Bruno et Troy Quane)
6. The Fabelmans (Steven Spielberg)
7. Le garçon et le héron (Hayao Miyazaki) [Critique complète]
8. Mars Express (Jérémie Périn)
9. Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese)
10. Alma Viva (Cristèle Alves Meira) [Critique complète]
Michael Pigé
Sergent Pepper