Pas encore assez connu en France, l’immense Nadar est déjà une star de la BD en Espagne, dont l’œuvre a déjà reçu de nombreux prix. Son dernier livre, Nos trajectoires humaines, est une merveille, qu’il convient de ne pas manquer…
Dans Petit homme, Nacho est un ado en conflit permanent avec sa mère, comme à peu près tous les adolescents le sont. Rien de grave, et ce d’autant que, lorsque sa mère n’est pas là, Nacho est capable d’intervenir lorsqu’il est témoin d’une scène de maltraitance envers une jeune femme. Malheureusement, la route de Nacho et celle de l’individu violent avec lequel il a eu une altercation vont très vite se croiser à nouveau…
Alejo Duque est un vieux personnage de fiction de la télévision espagnole, populaire à son époque. Bien des années plus tard, alors que son interprète est un vieillard, il se fait kidnapper et séquestrer par le fils de l’une de ses fans d’autrefois, souffrant d’Alzheimer. Est-ce là un remake du Misery de Stephen King ? Non, car l’issue en sera, ironiquement, bien différente !
Dans Matière facultative, une jeune femme, Eva, se souvient avec affection de Luis, qu’elle considère comme le meilleur professeur qu’elle ait jamais eu. Lorsqu’elle apprend que la carrière de Luis a été ruinée par la plainte de l’une de ses étudiantes, elle va jeter un regard différent sur ses propres souvenirs…
L’Artiste local, c’est Horacio Almendros, peintre d’aquarelles totalement inconnu, mais vénéré par Antonio, qui lui a consacré une biographie qui, logiquement n’intéresse pas grand monde. Mais avec les années qui passent, tout cela va changer…
Nos trajectoires humaines, de l’auteur espagnol Nadar, est constitué de ces quatre récits, quatre… nouvelles, a-t-on envie de dire, indépendantes mais qui font preuve d’une grande cohérence formelle, et même thématique, puisque chacune joue subtilement sur l’écart entre les apparences, ou ce que l’on sait de quelqu’un, et la réalité. Ce décalage, ainsi que sa révélation, confèrent à chaque histoire une remarquable tension interne, pas si loin de celle d’un thriller, avec twist en cadeau bonus. Sauf que Nadar est bien plus malin que ça, et demande à son lecteur d’avoir la patience et surtout de consacrer suffisamment d’attention à ses récits pour être récompensé à la fin par les riches et surprenants paradoxes de la nature humaine qu’ils révèlent.
On a entendu citer Raymond Carver à propos de Nadar, et c’est là sans doute le plus beau compliment que l’on puisse faire à un auteur de nouvelles : qui plus est, c’est une référence absolument pertinente, qui s’impose d’elle-même à la lecture de Nos trajectoire humaines.
Pour illustrer quelque chose d’à la fois aussi diffus et complexe, le dessin de Nadar reste simple, clair, parfaitement lisible. Sa construction des récits a l’élégance de la mise en scène de l’Eric Rohmer de la grande époque : nul besoin de forcer le trait, nul besoin de jouer de ressorts dramatiques conventionnels, tout est là dans l’histoire, il suffit de la laisser advenir.
Nos trajectoires humaines a remporté le prix de la meilleure bande dessinée espagnole de 2022 au festival Cómic Barcelona. Nadar mérite un prix à Angoulême : si ce n’est pas pour Nos trajectoires humaines, ce sera pour un prochain livre. C’est inévitable, vu le talent du bonhomme !
Eric Debarnot