L’électro et la technique mise au service de l’organique, de l’humain, de chants tribaux et ethniques. Roland Torres Martin et Lidwine de Royer Dupré ouvrent des fenêtres sur des paysages mystérieux et mystiques, des contrées éloignées qui deviennent proches. Une musique animée de l’esprit primitif de l’humain.
Ça commence avec des voix lointaines, suivies de chants, comme des lamentations psalmodiques. Puis viennent des percussions. Le rythme est saccadé, lent avant de s’accélérer, comme s’il devenait hors de contrôle, comme les chants qui se sonnent de plus en plus comme des aboiements (tout en gardant un côté shamanique). Les percussions s’affolent. Une nappe de synthé fait fond, un arrière-plan froid pour faire faire un contraste avec les voix. Un morceau qui tient de la prière, de la transe. Et le morceau se termine, comme une fenêtre qui se ferme sur un paysage. L’impression que quelques secondes seulement ont passé. Mais ce sont 2 minutes 24 qui se sont écoulées. Déjà !
Ce premier morceau offre un bon résumé de l’album, des morceaux qui passent dans un souffle, des échantillons de voyages sonores dans des contrées (évidemment) éloignées et mystérieuses. Un voyage qui continue de la même manière avec Prie Danse, le second morceau : même format, même durée, même côté transe mystique (ce que le titre révèle assez clairement), un chant religieux de tribus africaines, un chant primal et essentiel. Et l’on retrouve encore tout cela sur Saute Cailloux, Plume Serpente ou Des Pas Et Puis, ou Vaincre à Tout, le dernier morceau de l’album. Bref, sur quasiment tout l’album. Tout cela n’est pas sans rappeler (au moins dans l’esprit) célèbre Eskimo des cultes Residents. Des escapades techno-électro-ethnographiques, un peu genre « musique du monde », découverte d’autres cultures, plongée dans d’autres mondes.
Il reste quand même que cet album est aussi (avant tout ?) un album d’électro. Les sons que l’on entend sur l’album sont tous tirés de l’ordinateur de Roland Torres Martin. Pourtant, cette dimension n’est pas évidente partout de la même manière. On la trouve plus évidemment présente sur certains morceaux que sur d’autres – Prie Danse, la seconde piste, est peut-être le morceau le plus organique de Contrées. Vaincre à Tout, Vallée Fauve ou Saute Cailloux, et dans une moindre mesure Plume Serpente ou Des Pas Et Puis, forment une deuxième partie de l’album, si on les compare aux deux premiers morceaux. Ce n’est pas que l’ambiance change ou que l’esprit qui habite l’album soit différent – rythmiques tribales, danses effrénées, prières collectives aux esprits de la nuit, de la nature ou chants guerriers. Mais avec ces morceaux, on quitte le côté seulement organique, pour entrer dans l’électro de manière bien plus marquée. Comme si les Residents d’Eskimo avaient rencontré Brian Eno ou, surtout, le David Byrne et les Talking Heads de Remain in Light et même Richard James (Aphex Twin, donc). Les instruments électroniques sont bien plus présents, deviennent centraux, structurant les morceaux. Les voix viennent se mêler aux boucles groovy et funky, aux rythmiques échappées des boites à rythmes et des synthés. La fusion est aussi bien réussie que sur Remain in Light. Les morceaux sont touffus, denses, mélanges de traditions et de cultures différentes. La musique répétitive, les boucles et les chants sont hypnotiques et fascinantes. On regrette que cela dure à peine 20 minutes.
Alain Marciano