A partir d’une idée séduisante, Dream Scenario hésite trop entre ce qu’il pourrait nous raconter et le genre de film qu’il pourrait être : le spectateur finit par rester en rade devant un film trop sage, qui ne tient guère les promesses de son pitch.
Il y a quelque chose dans le pitch surprenant et excitant de Dream Scenario qui rappelle un peu le concept d’un Vincent doit mourir : ici, un homme ordinaire n’est plus cette fois victime d’agressions irraisonnées du reste du monde, mais hante les rêves d’une grosse partie de la population mondiale. Comme dans le film de Stéphan Castang, ce point de départ à la fois fantastique et absurde, tout aussi horrible que drôle, va amener à la destruction de la vie du « héros », sans que le film ne prenne la peine – et c’est bien mieux comme ça, je pense que tout le monde est d’accord – d’apporter une explication rationnelle ou fantastique au phénomène déclenchant la suite de désastres qui vont ruiner l’existence de cette « victime ».
Mais, comme c’est ce grand malade – et ce grand acteur – qu’est Nicolas Cage qui tient le rôle principal, et a co-produit le film, on est tenté de faire aussi un parallèle avec Adaptation. et avec le cinéma de Spike Jonze et Charlie Kaufman… ce qui nous rend sans doute un peu trop exigeants envers le film d’un jeune auteur (c’est à dire réalisateur de ses propres scénarios) d’origine norvégienne comme Kristoffer Borgli qui n’a pas encore franchement « percé » en dépit de quelques longs et de nombreux courts-métrages.
Paul Matthews est un professeur d’université, que l’on devine brillant intellectuellement, mais pusillanime et malchanceux, ce qui l’a privé du succès et de la reconnaissance auxquels il aurait dû avoir droit. Un jour, il se met à apparaître dans les rêves de sa fille, de ses étudiants, et de milliers de personnes à travers le monde, sans que, simple observateur, il n’agisse d’ailleurs d’aucune manière dans ces fameux rêves. Il devient instantanément célèbre, mais ce quart d’heure de gloire warholien va tourner au cauchemar quand il se mue en dangereux psychopathe dans les cauchemars de « ses victimes ».
Dans le rôle de Paul, Nic Cage, affublé d’un look passe-partout de prof pantouflard, est aussi convaincant que dans n’importe quel film, majeur ou de série Z, dans lequel on l’a vu jouer. La réalisation de Borgli, dans un film dont l’esthétique se réclame d’un certain cinéma indie d’autrefois (ce qui ne manque pas de charme), est attentive aux tourments de son personnage, et lui offre un espace bienvenu pour qu’il existe au-delà d’un pitch « un peu trop malin ». Mais finalement, le problème du film n’est pas la relative difficulté à aller au delà d’un point de départ se limitant à une simple idée amusante, car Borgli se débrouille plutôt bien pour offrir une évolution crédible à la situation absurde de son héros : c’est plutôt qu’il ne choisit jamais entre critique sociale mordante et portrait attentif d’un homme en perdition. Ou plutôt qu’il essaie de conjuguer les deux sans jamais trouver le juste équilibre entre la satire grinçante et la comédie dépressive : un programme sans doute trop ambitieux par rapport à son degré de maturité en tant que cinéaste…
Alors que, très honnêtement, le spectateur se satisferait d’un film focalisé sur les tourments de Nic Cage (qui est quand même la vraie raison pour laquelle on vient voir le film), Borgli tire sans grande finesse sur la putasserie des agences de pub, sur la bêtise crasse des réflexes universels conduisant à la « cancel culture » actuelle, et finalement sur la récupération marchande de la situation par un capitalisme prompt à monétiser tout événement inhabituel. Tout cela est juste, mais finalement pas assez développé pour être plus qu’une sorte de clin d’œil complice. Ceci dit, en tant que Français, il faut admettre que l’ironie avec laquelle Dream Scenario traite notre facilité nationale à accueillir chez nous les rejetés du système US est bien vue !
Bref, on rit beaucoup devant les rêves représentés comme des extraits de films d’horreur standards, on écrase une petite larme devant les épreuves que Paul Matthews doit traverser, mais on n’est jamais réellement convaincu par Dream Scenario, un film qui, admettons-le, reste finalement trop prudent, trop sage pour nous emporter.
Eric Debarnot