Guidés par Ibn Al Rabin, accepteriez-vous de découvrir la Suisse romande, l’art contemporain et la recette du sbrinz ?
Durant 9 ans, chaque semaine, Ibn Al Rabin a livré une courte bande dessinée destinée à la page culture du Courrier, un quotidien suisse indépendant de langue française. Sur un format à l’italienne et un magnifique fond noir, l’album regroupe 400 strips d’une à dix cases.
D’un jaune solaire, le dessin est minimaliste et monochrome. Seulement esquissés, ses personnages rappellent « La Linea », l’extraordinaire série télévisée d’Osvaldo Cavandoli. Rappellent seulement, car contrairement à Balou, les héros du sbrinz sont terriblement bavards. Très expressives, les silhouettes semblent se mettre au service du texte. Semblent seulement, car rien n’est figé dans l’univers d’Ibn Al Rabin, rompant avec ses propres codes, certains de ses strips se font muets et réalistes.
Au fil des semaines, Ibn Al Rabin crée un extraordinaire bestiaire d’artistes et de critiques, de galeristes et de spectateurs. Logiquement, il y sera beaucoup question d’inspiration et de création, d’installations et d’expositions. Les récits s’enchevêtrent, les personnages interagissent et prennent de l’épaisseur. Le lecteur se surprend à s’attacher à Mitch et au fantôme de son ami Bob, des artistes en manque de créativité, à Clotilde, une danseuse maladroite mais appliquée, à Raymond, un chroniqueur culturel alcoolique, à Amande et Béa, des galeristes aux éthiques divergentes, à Mildred, la reine du stand-up définitivement abscons, à un compositeur, un peintre, un auteur, une petite fille et à tant d’autres encore.
Ibn Al Rabin mêle avec bonheur un comique de répétition à un lot de surprises, une loufoquerie absurde à une véritable initiation à l’art contemporain, jusqu’à la crise du Covid, son entrée en scène en démiurge et à une mystérieuse pluie de sable ocre. Pardonnez-moi, j’allais omettre les sirènes-baleines et le sbrinz !
Stéphane de Boysson