Depuis Révélation Permanente, « Bootleg » paru en 2020, les membres de Sinaïve n’ont cessé de flinguer tous formatages rock. L’année 2023 leur fut dense avec l’arrivée de Séverin à la basse, une prestation remarquée aux Eurockéennes de Belfort et la sortie du mini-album Répétition. Sinaïve annoncent d’ores et déjà la sortie de Pop Moderne, leur premier album long format. Nous avons demandé à Alicia et Calvin de se prêter au 5+5 pour en savoir un peu plus sur les disques qui tournent sur leurs platines.
Sinaïve : Comme toutes les précédentes, nous avons écouté beaucoup de musique cette année. En condensant à l’extrême, nous accordant une petite tricherie avec des recommandations additionnelles (parce qu’un disque écouté en appelle toujours un autre), voilà où nous en sommes. Après avoir enregistré notre premier album Pop Moderne qui va sortir en 2024, on s’est rendu compte que de la première prise jusqu’à la fin du mixage, nous avions beaucoup évolué en tant que musiciens. Séverin est arrivé dans le groupe, les inspirations ont changé, la suite sur laquelle nous travaillions déjà, nous prouve que le ciel est désormais la limite. Je crois que dans notre écoute de la musique, nous sommes tous les trois jamais autant sorti du rock que cette année. Pour mieux y revenir ?
5 disques du moment :
Rosalía – Motomani
D’abord Michel Cloup qui nous en parle d’un air enjoué (!?), puis le journaliste/écrivain Philippe Azoury qui sur Insta met ce disque à côté du Super 45t de Sinaïve dans son top 2022 (!?), il fallait qu’on comprenne la hype autour de MOTOMAMI une fois celle-ci passée. Eh bien merde, comme nous avons eu tort de nous en méfier ! Peut-être le disque mainstream le plus inspirant de cette décennie, so far. La musique latine est en train d’exploser en Europe, il n’en fallait pas plus à cette Catalane de Rosalía pour s’en emparer, remerciant au passage en bonne et due forme toute l’Amérique du Sud dans le livret. Sachant qu’on ne rigole pas avec ça, Sinaïve étant un tiers latin (rires) (ndlr. Alicia est colombienne). On aime le fait qu’elle n’ait aucun problème à name-dropper ses influences, possède l’une des plus belles voix de sa génération, sample autant Daddy Yankee que Burial ou Justo Betancourt, s’entoure des meilleurs. Disons que sa créativité est proche de celle du Kanye de la grande époque. En espérant sans trop y croire que Bad Bunny prenne des notes.
Recommandations additionnelles : Arca – Kick iii
Kali Malone – The Sacrificial Code
Spirituel et reposant, notre genre d’ambient. « This is our music ».
Recommandations additionnelles : Sarah Davacchi – Antiphonals
Jpegmafia & Danny Brown – Scaring the Hoes
Si seulement le hip hop actuel pouvait avoir à chaque fois cette équilibre de fun et d’expérimental dans sa production ! La voix de Danny Brown est mixée à la perfection, l’équilibre entre ces deux génies ne ment pas. Peut-être que ce disque n’est que le premier d’une longue série, on l’espère en tout cas.
Recommandations additionnelles : Billy Woods & Kenny Segal – Maps
Tyler, The Creator – Igor
Son chef d’œuvre. Le dernier est très chouette aussi, ça rap plus. Igor est un disque définitif, effortless comme disent les Anglais. Quand Kevin Shields fait Loveless, il opère la synthèse des 3 décennies qui l’ont précédé, de toute la musique qui l’a influencé en y mettant sa personnalité radicale. Exactement ce que Tyler fait avec ce disque-là.
George Clanton – Slide
Shoutout à Arnaud, membre officieux de la galaxie Sinaïve qui nous emmène en tournée à bord du bus Repetita à la playlist bien fournie, avec notamment George Clanton. On n’oubliera pas : complètement à l’ouest, Slide, entre deux dates dans une voiture qui se perd dans le bocage, c’était carré !
5 disques pour toujours :
Buddy Holly – Reminiscing
La base. Reminiscing contient en plus de sa superbe reprise de Bo Diddley la meilleure version du Slippin’ & Slidin’ de Little Richard, sorte de démo au son très mystérieux et où l’on peut entendre sa femme María Elena laver la vaisselle derrière lui. De là à faire le lien avec l’invention de la musique psychédélique des sixties, le 13th Floor Elevators et la cruche électrique, on laissera l’exécution de ces parallèles à la critique.
Recommandations additionnelles : Bo Diddley – s/t / 13th Floor Elevators – The Psychedelic Sounds of…
Chico Buarque – Construção
Disque infiniment riche, Chico Buarque écrit Construção avec un concept en tête : l’ouvrier & la machine, le rythme du travail comme des tambours en cavalcade jusqu’à la mort. Grandiose dans son ambition, ce disque est à la fois cinématique et puissant dans ses interventions orchestrales (percussions amples, cordes et cuivres stridents) en même temps qu’il nous berce doucement de jolies mélodies aux paroles amères. Pas loin du Arthur Lee de Forever Changes quelque part, en plus sucré.
Recommandations additionnelles : Jorge Ben – Ben / Milton Nascimento – Minas
Alice Coltrane & Pharoah Sanders – Journey In Satchidananda
Tout ce que vous avez toujours voulu que le jazz soit sans oser l’espérer. Peut-être qu’Alice Coltrane réussit sur ce disque (avec le précieux apport de l’immense Pharoah Sanders) à honorer la musique de son défunt mari John, lui qui n’avait cesse à la fin de sa chaotique carrière de frayer autant de chemins musicaux possibles qu’il eut de disciples. Alice est allée au bout de ce chemin-là, celui d’une musique spirituelle débarrassée du deuil et du désespoir.
Recommandations additionnelles : Pharoah Sanders – Thembi / Don Cherry – Brown Rice
The Birthday Party – Bad Seed EP & Mutiny! EP
Deux EP, ça compte pour un album non ? En plus, les deux ont été réédités en un seul CD. Pas grand chose à dire, une des meilleures paires guitariste/chanteur de l’histoire du rock, à l’esthétique plus Amérique que l’Amérique, ayant inspiré par leur son les plus Britanniques des Britanniques (le Cocteau Twins de Garlands, MBV). Incandescent comme les Stooges, ils explosent en plein vol visiblement bien aidés par des problèmes de drogue (et Blixa Bargeld qui tape l’incruste) avec leur best work.
Recommandations additionnelles : Stooges – Funhouse / Nick Cave & the Bad Seeds – Tender Prey
Koopsta Knicca – Da Devil’s Playground : Underground Solo
On voulait choisir les œuvres complètes du producteur DJ Paul, mais ça n’est hélas pas encore édité. Koopsta, membre éminent de la Three Six comme DJ Paul, a un flow malade minimal. Il préfigure en ce sens la majeure partie des rappeurs d’aujourd’hui. C’est encore plus la production qui n’arrête pas de nous fasciner. Et à l’écoute du rap d’aujourd’hui, on pense ne pas être les seuls.
Recommandations additionnelles : Three Six Mafia – Smoked Out, Loced Out / Lil Fly aka Playa Fly – Out da Darkness of da Kut
Alicia & Calvin