S’il y a un genre dans le Rock US qui ne fait guère recette en France, c’est bien celui – très populaire outre-Atlantique – qu’on nomme « americana », surtout sur son versant le plus « classic rock ». C’est clairement injuste par rapport au talent de nombreux musiciens qui gagneraient à être « découverts » : exemple parfait, celui d’Israel Nash, qui a publié son septième album en 2023 et joue à Paris ce mois-ci…
Israel Nash, musicien américain de « classic rock » fortement imprégné « d’Americana », guitariste émérite, parolier sincère qui ne rechigne pas à émouvoir, que l’on voit souvent sur les photos avec un look mi-cowboy, mi-biker, n’est pas très populaire en France : il faut dire qu’il coche toutes les cases détestées autant par les « branchés » (terme désuet, on le sait, mais vous pouvez mettre à la place ce que vous voulez, pensez à ceux pour qui la dernière mode efface immédiatement tout ce qui précède… D’ailleurs on ne trouve aucune critique d’un album d’Israel Nash sur Pitchfork, c’est un signe, non ?) que par les « anti-américains » viscéraux, nombreux dans l’hexagone. Il y a donc malheureusement peu de chance que Nash devienne une super star en France, il passe d’ailleurs toujours en concert dans le cadre délicieux mais étroit de la Maroquinerie après quinze ans de carrière et avec sept albums sous la ceinture.
Israel Nash, c’est un peu le successeur de Tom Petty – auquel on pense dès l’entame de Can’t Stop, l’ouverture de Ozarker, son dernier disque -, c’est-à-dire un artiste ultra brillant, célébré aux USA et vaguement méprisé chez nous. D’ailleurs, on parie que la mention de Petty dans cet article aura déjà fait fuir une partie des lecteurs ! Alors, utilisons plutôt la référence, beaucoup plus acceptable chez nous, car plus « new yorkaise », moins « bouseuse » de Springsteen, souvent également cité lorsqu’il s’agit de circonscrire le terrain sur le quel opère Israel. Ou Neil Young, que d’aucuns parmi nos amis, mentionnent aussi : moins évidente, cette étiquette reconnaît sans doute plutôt l’importance de la guitare électrique dans la musique de Nash… Mais, pour revenir à la brillante « chanson pour rouler » qu’est Can’t Stop, faux hommage de la fuite et vraie célébration de la résistance individuelle face à un monde inhumain, et elle nous fait regretter l’époque où nous pouvions introduire des cassettes un peu pourries dans l’autoradio pour prendre la route. « Can’t stop keep spinning these wheels / Come closer and I’ll show you how it feels » (Je ne peux pas m’arrêter de faire tourner ces roues / Approche-toi et je vais te montrer ce que ça fait…). Du romantisme typique du siècle dernier, oui, mais quelle efficacité !
Le problème d’Ozarker pour les Français, c’est qu’il va sonner encore un peu plus bouseux, un peu plus « americana » que les disques précédents de Nash : il l’a expliqué, il s’agit d’un album de retour aux sources, de retour au pays, de célébration de joies simples et traditionnelles. Prenons par exemple le texte de la chanson Ozarker, qui a tout du cliché redneck : un routard qui s’arrête pour faire les moissons dans une ferme du Missouri, qui s’amourache de la belle fille du fermier, qui repart en faisant la promesse de revenir… et qui revient. Happy end ! Vous ricanez ? Vous ne devriez pas, car ce que raconte Nash ici c’est l’histoire vraie de ses arrière-grands-parents. Et c’est aussi beau, aussi inspiré que du Springsteen des années 80 : la simplicité des sentiments exprimés ici fait aussi leur force, la mélodie est d’une évidence extrême, les « sha la la la » seront parfaits à reprendre en chœur dans la salle pour se sentir « tous ensemble » dans un moment cathartique, le final lyrique avec solo de guitare incandescente et notes de piano rafraîchissantes est magnifiquement prévisible.
Très honnêtement, il n’est nul besoin de détailler chacune des dix chansons qui constituent les 45 minutes d’un album totalement classique : nulle surprise à en attendre, la production est royale (le savoir-faire « sonique » reconnu de Nash s’appuyant sur l’expertise du producteur Kevin Ratterman, responsable ici d’un « gros son » fort impressionnant), et la maîtrise du genre est absolue. Les anglophones se régaleront en écoutant des textes qui racontent souvent des histoires simples et belles de gens ordinaires : encore le syndrome Springsteen, puisque Nash raconte avoir réécouté, après le Damn The Torpedoes de Petty à la mort de celui-ci, le Born In The USA du Boss, deux albums qui ont inspiré cet Ozarker…
Soulignons tout de même, pour le plaisir, la splendeur de la guitare sur l’épique Going Back, célébration de l’esprit rebelle des hors la loi et pilleurs de banque du vieil Ouest : « Oh you best be ready and keep your right hand steady / Put the fire to the fuse it burns fast and there’s no Going Back » (Oh, tu ferais mieux d’être prêt et de ne pas trembler de la main droite / Allume la mèche, elle brûle vite et il n’y a pas de retour en arrière)… Et, dans la logique directe de Born In The USA, la très émouvante Lost In America, sur les traumatismes des soldats retournant au pays, brisés, après les guerres menées au nom des USA à l’autre bout de monde : : « It was God and country, cash in hand / For a one-way ticket off to them far east blowing sands / I won’t forgive and I can’t forget / All that I saw and those things that I did » (C’était Dieu et la patrie, du fric en poche / Pour un aller simple vers les vents de sable de l’Extrême-Orient / Je ne pardonnerai pas et je ne peux pas oublier / Tout ce que j’ai vu et toutes ces choses que j’ai faites).
« No matter where you come from or where you go, you’ll always carry your past with you. The people, the places, the stories, that’s what makes you you. » (Peu importe d’où vous venez ou où vous allez, vous porterez toujours votre passé avec vous. Les gens, les lieux, les histoires, c’est ce qui vous fait) déclare Nash. Au delà de l’indiscutable sentiment de nostalgie que dégage Ozarker, ce qui a motivé son auteur, et ce qui en constitue la force motrice, c’est bien cette question, de plus en plus essentielle, de savoir d’où l’on vient pour pouvoir continuer à avancer. Ozarker n’est pas un disque rétrograde de quelqu’un qui pense que « c’était mieux avant », c’est le cadeau que nous fait un artiste qui, ayant atteint la quarantaine, comprend d’où il vient et nous fait partager sa foi en la richesse humaine.
Eric Debarnot
J’aime beaucoup le groupe Calexico (vraiment beaucoup), qui a une base d’Americana dans sa musique. Mais Israel NASH (filiation avec Graham ?), je n’y arrive pas. C’est la même chose avec Born in the USA et Bruce Springsteen. J’aime la personne et la démarche de l’artiste, mais pas souvent sa musique.
Merci en tout cas pour cette découverte, forcément vous élargissez mes connaissances de musiciens, vous élargissez aussi ma sensibilité.
Merci pour cette belle chronique d’un artiste méconnu, mais à la voix, à la production et aux mélodies si aériennes et magnifiques ! J’ai découvert Israel Nash en 2014 avec « Rain Plans » ; j’avais l’impression de découvrir un trésor oublié de Neil YOUNG, période « After Gold Rush »… J’ai eu la chance d’assister à un de ses concerts, à la Maroquinerie, en novembre 2018. En puisant dans ses 3 somptueux albums « Rain Plans », « Silvers Season » et « Lifted », sans oublier quelques pépites plus anciennes comme « Baltimore », avec la présence de son acolyte Eric Swanson à la Pedal Steel, ce moment fut inoubliable, une véritable odyssée psyché/rock ! Un concert transpirant la Beauté et la sincérité… Je n’avais pas pu le revoir en juin 2022, le concert ayant lieu en semaine… Les « bouseux » provinciaux ne peuvent pas rejoindre la capitale comme ils le voudraient ! J’avoue que ses 2 derniers albums m’ont un peu moins transporté, mais samedi prochain, c’est certain, je prendrai mon volant depuis ma campagne nantaise pour retourner à la Maroquinerie, attendre Israel sortir de son van qui va parcourir l’Europe, et me laisser habiter par ses envolées lyriques, puissantes et aériennes. Keep on rockin’, Israel !