Un hiver qui semble sans fin s’est installé sur la France. A la suite d’une épidémie meurtrière, un pouvoir autoritaire a mis en place des mesures liberticides. C’est dans ce contexte pesant et glacial que deux êtres – à peine sortis de l’adolescence – vont tenter de s’aimer.
Sans doute est-ce un signe des temps : les dystopies se bousculent dans nos librairies. Péril écologique, dérèglement climatique, crise du Covid-19… Il faut dire que les conditions semblent réunies pour inspirer aux romanciers les anticipations les plus terrifiantes. Maintenant que l’hiver, le sixième roman d’Olivier Sebban, s’inscrit dans cette mouvance, mais l’écrivain nous propose surtout un roman d’une grande sensibilité.
Le récit s’attache au destin de Thomas, un jeune homme marqué par un drame familial dont on découvrira progressivement les contours. Ancien mécanicien moto dans une France totalitaire qui règlemente drastiquement l’usage des moteurs thermiques, Thomas survit en travaillant pour les frères K., de dangereux malfrats qui trafiquent, entre autres choses, une denrée désormais prohibée : la viande. Avec son ami Sofiane, Thomas conduit les fourgons des frères K., s’efforce de contourner les nombreux contrôles qui morcèlent la ville et livre une viande vendue à prix d’or au marché noir. Autour d’eux, un hiver particulièrement rude et interminable emprisonne le pays dans une atmosphère pesante et oppressante.
C’est dans ce contexte que Thomas va faire la rencontre de Sandra, la fille d’une influente députée. Commence alors une fragile histoire d’amour qui vient apporter un peu de chaleur au jeune homme. Mais il se retrouve bientôt impliqué dans un nouveau trafic, bien plus sordide et dangereux que le précédent. Quant à la mère de Sandra, elle l’entraîne dans une sombre machination politique. Dans le même temps, la colère gronde dans les rues couvertes de neige et de givre, et des émeutes menacent d’éclater.
Si la trame du roman d’Oliver Sebban est assez conforme à ce que l’on est en droit d’attendre en 2024 d’une dystopie (dérèglement climatique, crise migratoire, régime totalitaire, épidémies…), Maintenant que l’hiver impose sa singularité dès les premières pages. Ce qui frappe en premier, c’est la prose d’Olivier Sebban : sa richesse lexicale, la précision de ses descriptions, son sens de la syntaxe qui permet aux phrases de se déployer dans toute leur beauté. De cette écriture émane une poésie aussi évocatrice qu’anxiogène. Le monde imaginé par Olivier Sebban – terriblement réaliste – nous apparaît alors dans toute sa complexité. L’atmosphère est glaciale et la violence est là, sourde, latente le plus souvent, mais prête à jaillir à chaque instant. Le contraste entre la déréliction des êtres, la décrépitude des lieux et la beauté de l’écriture est saisissante. Olivier Sebban excelle autant dans l’évocation des bâtiments qui pourrissent que dans l’évocation d’une nature encapsulée dans la neige et le givre.
Quant au portrait de Thomas, jeune homme à la dérive dans un monde qui semble privé d’espoir, il est lui aussi d’une grande sensibilité : Sebban ausculte avec finesse les plaies de son personnage, ses failles, mais aussi les contradictions et les doutes qui l’animent.
Maintenant que l’hiver est donc l’une des premières belles lectures de cette rentrée 2024 : Olivier Sebban s’approprie des thèmes et un genre hélas dans l’air du temps pour nous livrer un roman aussi beau que glaçant.
Grégory Seyer