Comédie sociale en forme de faux thriller, The Boss est une délicieuse satire des rapports de classe qui, bien que typique de la société sud-américaine, s’avère tout aussi pertinente vue du continent européen !
Impossible de ne pas pester encore une fois sur la « traduction française » (comme si The Boss était du français !) du titre de la série argentine El Encargado (soit « celui qui est en charge », The One In Charge en titre international), tant elle est stupide, mais surtout trompeuse puisqu’en contradiction complète avec le sujet de la série ! « El Encargado », c’est Eliseo, concierge et homme à tout faire depuis 30 ans dans le même immeuble d’un quartier bourgeois de Buenos Aires : depuis le temps, il a su se rendre indispensable à tous, grâce à son amabilité, son dévouement, son sens de l’engagement personnel vis à vis des habitants. Ce que l’on découvre dès le premier épisode, c’est que cette attitude formidablement positive, empathique d’Eliseo dissimule une âme noire, très noire même : Eliseo est littéralement un monstre, qui a gagné la confiance de tous pour mieux en abuser, et se livrer à un enchaînement continuel de larcins, d’abus de confiance, voire même de véritables escroqueries. Jusqu’au jour où tout cela est remis en cause, du fait d’un responsable de la co-propriété sans aucun état d’âme qui souhaite faire construire une piscine sur le toit de l’immeuble, et, pour que ce projet soit viable, virer purement et simplement ce concierge à la fois encombrant et au salaire trop élevé.
Les onze épisodes de la saison 1, disponible sur la plateforme Disney+, de El Encargado vont donc, après nous avoir fait comprendre les manœuvres retorses de ce concierge machiavélique, nous raconter sa lute impitoyable conte son ennemi, le redoutable et très antipathique Zambrano, pour échapper à ce licenciement. Paradoxalement, et c’est bien là tout l’attrait de cette série qui cultive l’ambiguïté à un niveau particulièrement poussé, notre sympathie va aller très vite à cet Eliseo pourtant cynique au dernier degré, frôlant même régulièrement l’ignominie (quand il dépouille son amie la plus proche d’une partie de sa retraite, profitant de sa confiance et de sa sénilité). Les victimes des plans diaboliques d’Eliseo, peut-être parce qu’ils font partie de la couche la plus aisée de la société argentine; nous paraissent régulièrement ridicules, et même haïssables dans l’indifférence qu’ils manifestent pour la plupart vis à vis des classes sociales plus basses.
On rit beaucoup devant le machiavélisme d’Eliseo, on se réjouit de ses triomphes et on déplore ses échecs : sommes-nous devenus aussi ignobles et amoraux que lui, pour autant ? Ou bien, dans le fond, sommes-nous toujours sensibles à la vieille antienne de la « lutte des classes », qui ici n’est que rarement violente puisqu’il faut que rien ne transparaisse, mais est tout aussi impitoyable ? Disons plutôt que nous sommes ravis de ce scénario la plupart du temps très bien troussé – malgré quelques invraisemblances occasionnelles – qui révèle non seulement la profonde corruption régnant dans la société argentine, mais surtout, et c’est là qu’il devient beaucoup plus universel, l’individualisme forcené qui triomphe partout, et transforme les rapports humains en une lutte permanente de chacun pour tirer le plus d’avantages possibles de l’autre. Il y a qui plus quelque chose d’hitchcockien dans ces histoires souvent diaboliques d’observation, de manipulation et de mensonges, qui, en dépit des rires (parfois nerveux) qu’elles nous arrachent, exploitent superbement l’inusable dialectique du maître et de l’esclave, le plus dangereux n’étant pas toujours le plus « puissant ».
Reconnaissons aussi, et ce n’est pas rien dans la réussite de El Encargado, le charisme fantastique de l’interprète d’Eliseo, Guillermo Francella (que certains ont certainement déjà vu dans un rôle secondaire dans le célèbre film argentin, Dans ses yeux), qui crève littéralement l’écran et transforme le visionnage de la série en une véritable fête !
Eric Debarnot