Premières plumes est un récit autobiographique sur comment retrouver son père en élevant une pie. Une situation pas banale pour quelqu’un, Charlie Gilmour, qui n’a pas vécu une existence banale, entre un père biologique poète, un père adoptif guitariste célébrissime. Une écriture sobre mise au service de sentiments forts, violents même. Émouvant.
Un jour Charlie se retrouve avec une jeune pie sur les bras, l’oisillon que la sœur de celle qui va bientôt devenir sa femme a sauvé dans une casse et lui a donné. À ce moment-là, Charlie et sa compagne, Yana, auraient pu décider d’emmener l’oiseau dans un refuge, ou de le (ou la, Charlie et Yana ne savent pas bien) porter à des spécialistes des oiseaux qui sauraient s’en occuper. Parce que, évidemment, s’occuper d’un oiseau demande des soins particulier et donc des connaissances, un savoir que ni Charlie ni Yana n’ont. Et puis un oiseau, ça fait pas mal de dégâts dans un intérieur urbain (sans parler du fait que la pie défèque partout, elle cache de la nourriture un peu partout, jusque dans les cheveux de Charlie ou entre les pages des livres …). Pourtant, Charlie et Yana (mais surtout Charlie) décident de l’élever. Premières plumes commence donc comme l’histoire des rapports entre Charlie Gilmour et Benzene la pie. À cette histoire se mêle très rapidement celle des rapports entre Charlie et sa propre famille, et surtout son père biologique, Heathcote Williams.
Car Charlie a peu connu son père (il les a quittés, lui et sa mère, quand Charlie était très jeune) et chaque tentative de retrouver ce père biologique a été un fiasco. Même si le beau-père de Charlie semble avoir été un père fantastique, il reste ce manque de n’avoir jamais pu établir de lien avec son père biologique. Donc, Charlie s’occupe de Benzene pour retrouver le sens des rapports père-enfant. Sans compter que, comme on l’apprend rapidement, Heathcote a lui-même eu un choucas – un oiseau de la même famille que les pies – dont il s’est occupé pendant un moment. Si Charlie s’occupe à son tour d’une de pie, c’est aussi (surtout ?) parce qu’il cherche à renouer avec son père. C’est ainsi que le récit avance, histoire d’une vie compliquée, celle de Charlie Gilmour, des rapports entre un homme et une pie, entre un garçon et son fils, un enfant et sa belle-famille ou, plutôt, ses belles-familles puisqu’il y a aussi les enfants d’Heathcote Williams. Le récit avance jusqu’au moment où Heathcote décède et que Charlie semble se libérer des liens avec son père et où il peut relâcher Benzene dans la nature et la laisser vivre sa vie. Comme la lui-même écrit Charlie Gilmour, Premières plumes est une histoire de pères et d’oiseaux (« a story about fathers and birds »). D’ailleurs, la version anglaise est sous-titrée, « A Memoir of Two Fathers and a Magpie ».
Premières plumes est un récit, ce sont les mémoires de Charlie Gilmour, le fils du fameux poète Heathcote Williams, l’auteur de Whale Nation et de Falling for a Dolphin, et de Polly Samson, et le fils adoptif de David Gilmour, le bien connu guitariste des Pink Floyd (Daniel dans le récit). Charlie Gilmour, qui a lui-même défrayé la chronique, en participant à des manifestations en 2011 et avoir grimpé sur le Cénotaphe, le monument aux morts le plus important du Royaume-Uni… Premières plumes est la version sous forme de livre d’une histoire qui a déjà fait l’objet d’articles de journaux et d’un documentaire de la BBC. On pourrait penser qu’il s’agit d’un objet un peu vain, superficiel, écrit par quelqu’un de connu et destiné à faire la une des magazines people. Que Elton John lui-même se soit fendu d’un compliment reproduit sur la jaquette du livre peut contribuer à ce sentiment. Il n’est n’est rien. Premières plumes est fort, et Charlie Gilmour présente dans une écriture simple et avec une grande franchise ses sentiments (y compris pour la pie), exposant sa colère (envers son père, ses belles-sœurs, la société). Il montre comment il réussit à connaître son père. Il ne s’apitoie jamais sur son sort, ne se cherche pas d’excuses (au contraire). Et réussit à proposer une fin particulièrement émouvante, « touchante » comme le dit Elton John ! Et même troublant, sur les rapports entre êtres humains et animaux.
Alain Marciano