Avec Making of, Cédric Kahn offre un regard « à la française » sur la fabrication cinématographique. Un film d’équipe, presque choral, dans lequel on nous donne à voir une collectivité au bord du gouffre. Un film sur cette usine à rêve qu’est le cinéma, mais aussi sur les excès auxquels elle peut conduire.
Alors que Le Procès Goldman est encore à l’affiche, Cédric Kahn enchaîne déjà avec un nouveau projet consacré cette fois au monde du cinéma : Denis Podalydès y incarne un réalisateur qui semble bien moins en forme que lui, au bout du rouleau à force de se battre pour porter à bout de bras un cinéma social et engagé qui rend frileux ses producteurs.
Dans l’héritage direct de La Nuit Américaine, le cinéaste offre donc un regard à la française de la fabrication cinématographique, assez éloigné du lyrisme intime Fabelmans ou de la fresque survitaminée Babylon. Making of est avant tout un film d’équipe, presque choral, dans lequel on donne à voir une collectivité au bord du gouffre, où les individualités se confrontent, fusionnent, se rencontrent, se déchirent et portent toutes le même idéal de mener jusqu’au bout une aventure créatrice aussi épuisante qu’euphorisante.
Les parallèles seront évidemment nombreux entre le film en abyme, consacré au monde ouvrier tentant l’aventure de l’autogestion, et cette équipe voulant leur consacrer une œuvre de fiction. Mais c’est surtout dans les écarts que se construit réellement le récit, malicieusement et lucidement mis en relief par Cédric Kahn. L’improbable duo formé par l’acteur bankable joué par Jonathan Cohen et l’ouvrier dont il incarne l’aventure raconte avec brio les boursouflures de la fiction et du jeu des comédiens. Cédric Kahn griffe ainsi avec tendresse les inévitables travers de l’écriture, condamnée à répondre à un certain cahier des charges (l’invention du départ de l’épouse pour qu’une idylle avec une jeunette puisse dynamiser le récit), et dont on dévoile ici toutes les coulisses. Le débat sur les coupes à faire dans le script est lui aussi particulièrement culotté dans un film qui accusera lui-même quelques longueurs assumées, dont tout l’arc entre le réalisateur et sa future ex-femme.
Mais c’est justement au sein de ces jeux que se joue le cœur du projet. Car la lucidité portée sur les coulisses du septième art n’incite pas pour autant le réalisateur à livrer, en surplomb, un film qui serait dépouillé des artifices qu’il satirise. En désactivant le parallèle trop facile entre les ouvriers du film tourné et l’équipe de tournage, Cédric Cédric Kahn reconnaît le privilège de pouvoir travailler au sein de cette usine à rêve – et les excès hors-sol auxquels elle peut conduire. Et ce tournage foutraque s’égarant dans les intrigues tertiaires et secondaires a l’audace de quitter la balise des têtes d’affiche – Jonathan Cohen, par exemple, n’est vraiment pas de tous les plans, ce contre quoi lutte précisément son personnage – pour aller traquer l’humanité débordante des authentiques rapports humains. Pour aller, aussi, faire connaissance avec ceux qu’on avait tôt fait de catégoriser, à l’image de ce cliché fait par le réalisateur dès le premier plan sur le « fils de » qu’on lui aurait assigné pour la réalisation de son making-of… Dans le réel à transcrire, l’univers ouvrier en voie d’extinction, dans les coulisses de ceux qui leur donnent de la visibilité, c’est la même et éternelle comédie humaine, qui vaut autant d’être vécue que filmée.
Sergent Pepper