Déception que cette incursion du brillant Hervé Le Corre dans le genre à la mode du « post-apo » : la lecture de Qui après nous vivrez, avec sa construction inutilement compliquée et la répétitivité de ses situations se révèle vite très fastidieuse.
Ça y est : après des décennies à ne rien faire face à la menace climatique, notre société s’effondre. Avec le coup de pouce de pandémies à répétition, la crise sociale et politique s’est transformée en affrontements réguliers entre une population excédée et des gouvernants qui ont choisi la répression sans freins. Rebecca, avec son bébé, Alice, survit plutôt mal que bien, jusqu’à ce que la disparition de son compagnon la jette sur les routes de l’exode, pour s’éloigner de la violence extrême qui sévit dans les villes en perdition. Des années plus tard, on suit le calvaire d’Alice, à son tour mère de Nour. Encore plus tard, Nour a elle aussi une petit fille, Clara, et il faut bien dire que la situation en France – et dans le monde – ne s’est guère améliorée.
L’idée, qui est loin d’être stupide, derrière Qui après nous vivrez (un titre dont l’incomplétude maladroite tend à la pédanterie, et qui quelque part traduit bien le problème du livre), est de narrer en parallèle la (sur)vie terrible de quatre génération de femmes (Rébecca, Alice, Nour et Clara), pour affirmer que le désastre qui s’annonce, de plus en plus en proche de nous, est irréversible, qu’il n’y aura pas de retour possible, sinon à la normale, telle que nous la connaissons, mais même à un minimum de « civilisation ». Hervé Le Corre est donc d’un pessimisme radical, et son roman post-apocalyptique de quatre cent pages ne contient pas UNE seule scène qui ne soit pas terrifiante, angoissante, horrible, abjecte : la beauté du monde n’existe plus, les comportements sont uniformément violents et autodestructeurs, la haine et la peur sont les deux seuls sentiments humains subsistant au delà de l’amour maternel, qui est le centre « chaud » d’une histoire glaciale. Le but de Le Corre est clairement d’asséner sans relâche à son lecteur des coups sur la tête, probablement afin de contribuer à une prise de conscience du désastre qui vient. C’est louable, admirable peut-être, c’est une œuvre d’utilité publique sans doute. Ça ne fait pas un bon livre.
Une fois qu’on a compris que Qui après nous vivrez sera une suite incessante de scènes de viols, de meurtres, de fuites épouvantées, de tentatives de survie appelées à échouer, pourquoi donc aurait-on envie d’en continuer la lecture ? Pour le style de Hervé Le Corre, très beau, clairement supérieur à celui de la majorité des auteurs de thrillers ou livres de SF ? Oui, mais c’est quand même un peu court. Et ce d’autant que l’autre gros problème du livre, c’est cette idée d’une construction nous contant en parallèle – en alternance dans chaque chapitre – les aventures et le destin de Rébecca, Alice, Nour et Clara… ce qui s’avère totalement contreproductif : c’est vite épuisant de systématisme, on est perdu entre la multitude de situations – finalement toutes plus ou moins identiques – que vivent des protagonistes qu’on peine à distinguer les un(e)s des autres. Le fait même que Le Corre ait décidé qu’il n’y aurait pas d’évolution dans la situation d’une société qui est revenue aux brutalités du Moyen-Âge rend chacun des récits fondamentalement similaire aux autres, entraînant un sentiment de répétition stérile, vite ennuyeux.
On pourra également réfléchir sur le fait, éminemment culturel, que la société post-apocalyptique vue par un Français est totalement statique, sans espoir de progrès, et forcément modelée sur le Moyen-Âge européen, avec un mélange d’obscurantisme, de féodalisme, de fanatisme religieux : un « imaginaire » qui tranche avec la vision US (celle de Walking Dead, par exemple), finalement plus positive, montrant une humanité occupée à recréer courageusement de la richesse en reconstruisant – même avec des dérives autoritaires, sans doute inévitables – des modèles de société d’une certaine manière « civilisés ». Mais finalement, on n’a même pas envie de se livrer à ce genre de réflexion, tant la lecture de Qui après nous vivrez ressemble à un interminable parcours de stéréotypes répétés à satiété, parsemés d’éventuels « twists » sans aucune crédibilité pour éveiller le lecteur somnolent, et habité par des personnages pour lesquels nous n’arrivons plus à ressentir une véritable empathie.
Un long calvaire.
Eric Debarnot