Quoi qu’on pense de Godzilla, ce monstre japonais emblématique qui a rarement été respecté à l’écran, le Godzilla Minus One de Yamazaki, qui fait le buzz à travers toute la planète et sera un gros succès financier pour ses producteurs, est avant tout une belle leçon de savoir-faire cinématographique administrée à l’Occident. Et ça, c’est proprement réjouissant !
Godzilla Minus One, le nième reboot de la saga Godzilla est un film japonais, et c’était déjà une excellente nouvelle a priori, après tant d’échecs cinglants de la part d’Hollywood ou de producteurs indépendants pour s’approprier le monstre mythique du Japon de l’après-seconde guerre mondiale, dévasté par la défaite et par la bombe atomique. Et puis peu à peu, le buzz s’est répandu sur les réseaux sociaux, attisé par une stratégie marketing et une approche de la distribution physique du film peu conventionnelle : Godzilla Minus One est un « film d’auteur » (Takashi Yamazaki, réalisateur sexagénaire et producteur de cinéma de films que l’on pourrait qualifier de seconde zone, s’est engagé personnellement et a écrit un vrai scénario qui ne se réduit pas à des scènes de destruction massive) ; les effets spéciaux sont incroyables et n’ont rien coûté (Avec un budget estimé à 15 Millions de US$, soit un dixième du budget d’un blockbuster hollywoodien standard, l’équipe du film a créé des images extrêmement impressionnantes, parmi les plus crédibles qu’on ait vu dans ce genre de cinéma) ; c’est le meilleur « Godzilla » jamais réalisé (ne les ayant pas tous vus, nous sommes incapables de juger, mais il est vrai que les versions de Roland Emmerich et de Gareth Edwards sont littéralement ridiculisées par le film de Yamazaki)…
Après une sortie très brève en France en décembre, principalement sur des écrans IMAX, et devant les protestations assourdissantes des cinéphiles frustrés (la France n’était pas prévue dans la stratégie de distribution initiale du film…), Godzilla Minus One sera enfin visible sur nos grands écrans pendant deux semaines en janvier, après quelques avant-premières dont nous avons pu profiter. Alors, de quoi s’agit-il ?
Yamazaki débute son histoire dans les tous derniers jours de la seconde guerre mondiale, alors que la défaite du Japon est imminente : Roichi Shikishima, pilote d’élite, a été choisi comme kamikaze pour participer aux dernières attaques désespérées contre les Américains, mais il déserte, et pose son avion sur une petite île où est installé un atelier de réparation. L’île est alors attaquée par le monstre Godzilla, et quasiment toute l’équipe japonaise est décimée, alors que Roichi, paralysé par la peur, ne fait rien pour les protéger. Dévoré par la culpabilité, se considérant comme un lâche, il rentre dans un Japon en ruines, et trouve une raison de vivre en protégeant une jeune femme et une petite fille au milieu du chaos général. Quelques années plus tard, Godzilla réapparaît et se dirige vers Tokyo : comment l’arrêter ?
On voit bien à la lecture de ce point de départ du film que l’intelligence du script de Yamazaki est d’avoir ajouté un contexte riche à son histoire classique d’affrontement entre le peuple japonais (les militaires sont occupés ailleurs !) et le monstre radioactif : la désastreuse défaite et l’effondrement de l’Empire japonais – désormais littéralement colonisé par les USA – pèse d’un poids écrasant sur tous les personnages du film, qu’ils se considèrent bafoués dans leur honneur, victimes des dysfonctionnements de la société autoritaire qui ont causé la défaite, ou se jugent lâches d’avoir choisi de survivre plutôt que de mourir. Roichi, en particulier, n’arrive pas à construire une vie de famille avec ses deux protégées, et verra le retour de Godzilla comme une occasion de racheter ses « fautes ».
Tout cela confère à Godzilla Minus One une densité humaine dont on n’a pas l’habitude dans ce genre de films, et qui en augmente notablement l’impact émotionnel. Ceci dit, soyons sincères, ce sont évidemment les scènes de destruction, mais surtout d’affrontement avec Godzilla qui font du film une véritable réussite, car la plupart revêtent un réalisme impressionnant, et surtout improbable quand on regarde objectivement le « look » assez grotesque du monstre, fidèle à la représentation initiale qui en était faite dans le Godzilla originel, de Ishirō Honda, en 1954.
On pourra évidemment déplorer que la manière dont les humains combattent Godzilla dans la dernière partie du film n’est scientifiquement pas du tout plausible, mais ce n’est là finalement qu’un détail par rapport au plaisir qu’apporte Godzilla Minus One.
Eric Debarnot
Précision qui a son importance : le « petit » budget du film est surtout rendu possible par les conditions de travail déplorables des équipes de tournages japonaises. C’est notamment un problème dans le secteur des effets visuels, qui est crunché jusqu’à l’os, avec des salaires misérables et des contrats dont les petits caractères parlent de 50 heures supplémentaires non-rémunérées par mois. Donc oui, il y a de quoi faire de sacrées économies. On souhaiterait au Japon un mouvement de grève similaire à celui ayant paralysé Hollywood l’an dernier, mais il y a fort peu de chances que cela advienne.