Les éditions Gallmeister publient Les Fils de Shifty de Chris Offutt, l’un des très grands noms du polar américain. Ce nouveau roman illustre une nouvelle fois l’immense talent de cet écrivain humble et discret qui, livre après livre, construit une œuvre unique, subtile et passionnante.
Si sa notoriété n’est sans doute pas aussi grande que celle de James Lee Burke, Chris Offutt est pourtant sans nul doute l’une des voix les plus singulières du polar américain, tendance rural noir. Les lecteurs français ont pu le découvrir dès le début des années 90 dans la mythique collection de Gallimard, « La Noire », grâce aux traductions de Philippe Garnier. Ses recueils de nouvelles (Kentucky Straight et Sortis des bois) sont d’ailleurs des modèles du genre. Puis Offutt a un peu disparu de nos librairies. Parallèlement à sa carrière d’écrivain, il est devenu scénariste pour quelques séries telles que True Blood ou Treme. 2018 a été l’année de son grand retour avec, Nuits Appalaches, un superbe roman couronné de plusieurs prix littéraires.
Les inestimables éditions Gallmeister ont alors entrepris de (ré)éditer l’œuvre de cet auteur trop discret, que d’aucuns comparent aux plus grands : Larry Brown, voire Faulkner. Comme celles de ces prestigieux modèles, son œuvre est fortement ancrée dans un territoire dont il ne cesse de dessiner les contours, livre après livre. Les Appalaches et le Kentucky constituent ainsi le décor de ses romans souvent âpres et durs, mais pétris d’humanité. Dans son précédent livre, Les Gens des collines, Offutt mettait en scène Mick Hardin, enquêteur pour l’armée américaine. Cet homme taciturne et asocial, détective hors pair, nous le retrouvons aujourd’hui dans Les Fils de Shifty. Au début de ce nouveau livre, Mick est de retour chez lui à Rocksalt, Kentucky. Il est en convalescence chez Linda, sa sœur qui fait campagne pour sa réélection au poste de shérif de Rocksalt. Blessé à la jambe, Mick se morfond, tente d’oublier les papiers de son divorce qu’il refuse de signer en se gavant d’anti-douleurs. Mais lorsque Shifty Kissick, une vieille veuve qui vit dans les collines, lui demande d’enquêter sur la mort de son fils, un dealer sans doute abattu par un rival, Mick retrouve ses réflexes et son sens inné de l’investigation policière.
Comme dans Les Gens des collines, Chris Offutt utilise le motif de l’enquête pour nous faire pénétrer dans ces collines du Kentucky où certains habitants vivent encore selon un code moral hérité de leurs parents, voire de leurs grands-parents. L’ardeur au travail, la connaissance de la nature environnante sont des valeurs auxquelles ils restent très attachés, au même titre que l’honneur, les liens du sang et la vengeance. Mick, qui a été élevé par son père et son grand-père dans une petite cabane au milieu de ces collines, appartient à cette communauté. Mais parce qu’il l’a quittée en s’engageant, il est parfois tiraillé entre ses vieux réflexes hérités de son éducation et les règles acquises à l’armée. Or cette nouvelle enquête, aux ramifications inattendues, pourrait le conduire à devenir ce qu’il s’est évertué toute sa vie à ne pas être. C’est là l’enjeu le plus intéressant du roman, cette réflexion autour de ces liens qui nous attachent à des lieux, des personnes, des valeurs – des liens qu’il faut parfois rompre dans la douleur.
A l’intrigue policière, aussi simple qu’efficace, se mêlent donc des considérations beaucoup plus complexes que Chris Offutt effleure pour mieux nous laisser la possibilité d’y réfléchir. Le romancier n’impose rien : ces sont les actions de son personnage qui, le plus souvent, nous révèlent sa vision du monde. Quant aux superbes descriptions des collines du Kentucky, elles nous rappellent combien Chris Offutt est un auteur aussi discret que précieux.
Grégory Seyer