Hommage respectueux à Jules Verne, ce magnifique livre-objet vient clore en beauté la fantastique odyssée éditoriale que furent Les Cités obscures du duo Peeters-Schuiten.
Le capitaine Nemo est de retour, et avec lui les deux maîtres belges du neuvième art ! François Schuiten et Benoît Peeters signent un très beau livre qui leur permet de croiser leur univers si particulier à celui de Jules Verne, rendant hommage au monde de la mer et au célèbre Nautilus, qui devient ici le Nauti-poulpe, créature hybride qui viendra bientôt trouver sa résidence définitive à Amiens, la ville où séjourna le célèbre écrivain….
Hybride. Voilà sans aucun doute le terme qui conviendrait le mieux à ce très bel objet éditorial, édité également en version luxe. Non seulement à cause de la créature mi-animal mi-machine qui vient hanter ses pages, croisement entre le Nautilus de Nemo et le poulpe géant de Vingt Mille Lieues sous les mers, mais par sa structure même. En effet, Le Retour du capitaine Nemo n’est pas à proprement parler une bande dessinée : six pages seulement sur les 96 de l’album affichent une séquence narrative en gaufrier et ne sont en réalité que le prolongement du récit illustré, « à la manière des fameuses éditions Hetzel du XIXe siècle », qui en constitue la première partie. Ici, les spectaculaires dessins en pleine page répondent à des textes très courts expliquant de façon très onirique l’origine du mystérieux capitaine. C’est superbe, et les aficionados seront ravis. Si on reconnaît bien la touche de Schuiten avec ses fameuses hachures, on pense évidemment beaucoup aux gravures du légendaire Gustave Doré.
On y voit donc le Nauti-poulpe écumer les mers du monde parallèle des Cités obscures, avant de remonter à la surface en direction de Samarobrive, la « ville-miroir » d’Amiens, où il sèmera la panique en grimpant sur la tour Perret, dans un clin d’œil à cet autre monstre célèbre qui n’est autre que King-Kong. Et on se dit, sans être trop surpris, que Jules Verne avait décidément quelque affinité avec les auteurs belges, et que les deux univers « matchent » à merveille…
Dans une seconde partie plus documentaire, Peeters évoque les relations entre l’illustre écrivain et son éditeur Pierre-Jules Herzel et revient sur ce roman exhumé par Hachette en 1994, Paris au XXe siècle. A l’époque (vers les années 1860), Herzel avait catégoriquement refusé de le publier, jugeant trop pessimiste l’ouvrage qui aurait pourtant, par son approche visionnaire, fait de Verne un précurseur en matière de littérature d’anticipation. Dans la foulée, Schuiten a saisi l’opportunité pour nous offrir de superbes planches associées à de courts extrait du récit, dévoilant un extraordinaire Paris rétro-futuriste, en résonance avec le dernier projet commun de Peeters et Schuiten, Revoir Paris. CQFD !
L’ouvrage se conclut sur la façon dont le « livre-objet » a contribué au succès de Jules Verne. L’éditeur Herzel tenait à soigner la qualité éditoriale des œuvres de son poulain en accompagnant ses textes d’illustrations, pour lesquelles les artistes n’auront étonnamment jamais touché aucun droit d’auteur ! Benoît Peeters parle également de la conception de Vingt Mille Lieues sous les mers et des liens étroits que l’écrivain avait noués avec sa ville d’adoption, Amiens, où il est prévu d’inaugurer en 2025 une sculpture monumentale représentant le Nauti-poulpe, projet pour lequel la municipalité a fait appel à François Schuiten.
On était à la fois surpris et content lorsque fut annoncé la sortie du Retour du capitaine Nemo, présenté par Casterman comme le dernier maillon des Cités obscures, d’autant que Schuiten avait annoncé mettre fin à sa carrière dans la bande dessinée en 2019. Nos espoirs furent bien vite douchés puisque cet opus, comme indiqué plus haut, est davantage un objet hybride, très éloigné de la bande dessinée pure (on pense davantage aux publications annexes dans la lignée du Guide des cités ou de L’Archiviste) et principalement motivé par l’accompagnement éditorial du beau projet d’Amiens.
Moins contraignant dans sa conception qu’une bande dessinée, ce type d’ouvrage séduira avant tout les inconditionnels de Jules Verne, et bien évidemment de Benoît Peeters et François Schuiten, sans doute un peu moins les bédéphiles. Le Retour du capitaine Nemo vaut davantage pour sa splendeur graphique, sa qualité éditoriale et son grand format. On en a désormais la certitude, les hautes portes des Cités obscures se sont définitivement refermées, et finalement d’assez belle manière, avec cet hommage à l’un des plus grands conteurs d’aventures que le monde ait connu. On en ressort charmé, certes, mais un peu triste aussi.
Laurent Proudhon
Le Retour du capitaine Nemo
Scénario : Benoît Peeters
Dessin : François Schuiten
Editeur : Casterman
96 pages – 26 €
Parution : 25 octobre 2023
Tirage luxe à 300 € – disponible en 450 exemplaires (Editions 9ème Rêve)
Le Retour du capitaine Nemo — bande annonce :