Elodie Fiabane n’est pas qu’une écrivain, mais aussi réalisatrice, scénariste et monteuse. Un indice pour comprendre de quelle manière elle a envisagé son premier roman Dans la ville, qui évoque l’univers des SDF parisiens, décrit par touches successives comme autant de séquences montées d’un docu-fiction très réaliste. Et saisissant.
Ce court roman est ainsi une succession de portraits de sans domicile fixes que la narratrice a rencontré lors de maraudes nocturnes dans la capitale parisienne. Pour les néophytes, les maraudes sont ces tournées de rues, durant toute la nuit, faites par des associations pour savoir comment vont les personnes qui dorment dehors. S’enquérir de leur santé, de leurs préoccupations ou de leurs problèmes, et leur donner éventuellement du matériel pour mieux dormir, ou à boire et manger pour tenir dans ces rudes moments. Enfin, leur proposer des solutions ou des logements temporaires, bien que ceux-ci soient très souvent refusés. Ce qui importe lors de ces maraudes, comme dans ce roman qui prend en exemple l’Institution, c’est de ne pas oublier ces êtres humains dépossédés de leurs biens matériels, les réconforter ou les aider, mais aussi rendre compte statistiquement des données sur le nombre et l’état de la clochardisation à Paris.
Tel un reportage au long cours, Elodie Fiabane, dans la peau d’une bénévole de l’association le temps de l’écriture du livre, évoque par touches successives et alignements de portraits, les existences de Tatiana, Mike, Stella, Mohamed, Bertrand…autant d’êtres uniques que de vies différentes, de destins cramés et impossibles à prévoir sur le long terme. Avec pour chacun un passé, une attitude particulière face à sa situation, des façons de prendre à bras-le-corps leur quotidien. Ou d’être résigné. Au milieu de ces instants nocturnes décrits et romancés, nous suivons également les trajets de vie des collègues d’Elodie, ces bénévoles avec qui elle travaille et partage des heures de maraudes difficiles, ces autres êtres humains assez altruistes pour aider leur prochain mais aussi lucides sur la société actuelle et les politiques publiques en matière d’aide sociale et au logement.
Ces problèmes socio-économiques sont certes inhérents à tout le discours de dans son roman, mais n’est jamais un documentaire à charge contre le système. Elle préfère pointer avec discernement et sans violence les dysfonctionnements des pouvoirs publics dans ce domaine et les manques urgents à régler pour aider au mieux les victimes d’une crise de longue durée, et aider ceux qui font en sorte que cette misère ne soit que temporaire, ou du moins ne conduise pas à une fatalité dramatique. Le procédé, même s’il devient répétitif à la longue, demeure un passionnant état des lieux de ce qu’est la vie la nuit, dehors, malgré soi, dans des grandes villes d’anonymat et de coins de rue mal éclairés, où le sombre le dispute à la violence, violence des autres et violence d’une société qui n’aide que trop peu ceux qui en ont besoin à un moment donné de leur vie. Juste mais sans misérabilisme, prenant sans éclat littéraire virtuose inutile, « Dans la ville » surprend, secoue aussi, puis finalement laisse un sentiment à la fois d’apaisement et d’amertume.
Jean-françois Lahorgue